Études de cas pratique

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Technologie du Béton Précontraint

Technologie du Béton Précontraint

Le béton précontraint est une évolution majeure du béton armé, développée au 20ème siècle notamment par Eugène Freyssinet. Son principe consiste à introduire intentionnellement des contraintes de compression permanentes dans le béton, avant sa mise en service, dans les zones qui seront soumises à des tractions sous l'effet des charges. Ces pré-compressions s'opposent aux tractions de service, permettant ainsi de limiter voire d'annuler la fissuration du béton, d'utiliser des aciers à très haute résistance et de réaliser des ouvrages plus élancés, plus légers et franchissant de plus grandes portées que le béton armé traditionnel. Ce cours explore les principes, les matériaux, les technologies et les applications de cette technique avancée.

Sommaire

1. Introduction : Principe et Objectifs

1.1 Limites du Béton Armé et Intérêt de la Précontrainte

Dans le béton armé traditionnel, le béton situé dans les zones tendues se fissure sous l'effet des charges de service. Ces fissures, bien que généralement maîtrisées en ouverture, peuvent nuire à la durabilité (corrosion des aciers) et à l'esthétique. De plus, seule une partie de la section de béton (la zone comprimée) participe réellement à la résistance en flexion, et la déformation (flèche) peut devenir importante pour de grandes portées.

La précontrainte vise à surmonter ces limitations en introduisant une compression préalable dans le béton. Cette compression "prévient" l'apparition des tractions dues aux charges externes, ou du moins les réduit considérablement.

1.2 Définition et Principe Fondamental

Le béton précontraint est un béton dans lequel des contraintes internes permanentes sont introduites, avant ou pendant l'application des charges de service, de manière à s'opposer, en tout ou partie, aux contraintes de traction que ces charges produiraient.

Cette pré-compression est généralement obtenue en tendant fortement des câbles ou des barres en acier à haute résistance (appelés armatures de précontrainte ou tendons), puis en transférant cet effort de traction au béton environnant, qui se retrouve ainsi comprimé.

Principe de la Précontrainte en Flexion Béton Armé (Charge) Compression Traction (Fissures) Béton Précontraint (Seule Précontrainte) Traction (Précontrainte) Compression (Précontrainte) Béton Précontraint + Charge Compression (Faible Traction ou Compression)

Effet de la précontrainte sur les contraintes de flexion.

1.3 Objectifs

  • Maîtriser ou supprimer la fissuration du béton sous charges de service, améliorant ainsi la durabilité (protection des aciers) et l'étanchéité.
  • Utiliser toute la section de béton en compression, la rendant plus efficace.
  • Utiliser des aciers à très haute résistance (limite d'élasticité 3 à 4 fois supérieure à celle des aciers de béton armé), ce qui serait impossible sans précontrainte en raison des déformations excessives.
  • Réduire les déformations (flèches) sous charges permanentes et de service.
  • Augmenter les portées franchissables ou réduire la hauteur des éléments structuraux (gain de poids et d'encombrement).
  • Améliorer la résistance à la fatigue.

2. Matériaux Spécifiques

2.1 Bétons à Hautes Performances (BHP)

La précontrainte induit des contraintes de compression élevées dans le béton, notamment au jeune âge lors de la mise en tension. Il est donc nécessaire d'utiliser des bétons présentant :

  • Une résistance en compression élevée : Généralement \(f_{ck} \ge 30\) MPa, souvent C35/45, C40/50, voire plus (BHP - Bétons à Hautes Performances).
  • Un module d'élasticité élevé : Pour limiter les déformations instantanées.
  • Un faible retrait et un faible fluage : Pour minimiser les pertes de précontrainte différées. Ceci est obtenu notamment par un faible rapport E/C et une cure soignée.

2.2 Aciers de Précontrainte (Armatures Actives)

Ce sont des aciers spéciaux à très haute limite d'élasticité (\(f_{pk}\) de l'ordre de 1600 à 1900 MPa) et faible relaxation (perte de tension sous charge constante). Ils existent sous différentes formes :

  • Fils : Diamètres de 5 à 8 mm, lisses ou crantés. Utilisés principalement en pré-tension.
  • Torons : Assemblage de plusieurs fils (généralement 3 ou 7) câblés en hélice. Forme la plus courante en post-tension (torons T13, T15, T15S...).
  • Barres : Barres lisses ou filetées de plus gros diamètre (15 à 50 mm). Utilisées pour des applications spécifiques (tirants, précontrainte courte).

Des armatures passives (acier pour béton armé classique) sont également utilisées pour reprendre les efforts secondaires, confiner le béton, ou comme armatures minimales.

2.3 Gaines et Produits d'Injection (Coulis)

En post-tension, les câbles de précontrainte sont placés dans des gaines (métalliques ou plastiques) noyées dans le béton avant le bétonnage. Ces gaines créent un conduit permettant la mise en tension des câbles après durcissement du béton.

Après mise en tension, l'espace entre le câble et la gaine est généralement injecté avec un coulis à base de ciment, d'eau et d'adjuvants. L'injection a pour but de :

  • Protéger les aciers de précontrainte contre la corrosion.
  • Assurer l'adhérence entre le câble et le béton environnant (précontrainte adhérente), améliorant le comportement structural.

Dans certains cas (précontrainte extérieure, câbles remplaçables), les gaines ne sont pas injectées ou sont remplies de graisse protectrice.

2.4 Dispositifs d'Ancrage

En post-tension, des dispositifs spéciaux appelés ancrages sont nécessaires aux extrémités des câbles pour :

  • Permettre la mise en tension des aciers à l'aide de vérins.
  • Transférer et maintenir l'effort de précontrainte dans le béton après blocage du câble.

Il existe différents types d'ancrages (actifs pour la mise en tension, passifs ou morts à l'autre extrémité, coupleurs pour joindre des câbles) basés sur des systèmes de clavettes, de cônes ou de plaques d'ancrage.

Ancrage de Post-Tension (Simplifié) Béton Gaine + Coulis Câble (Toron) Ancrage

Schéma simplifié d'un ancrage de post-tension.

3. Technologies de Précontrainte

Il existe deux principales technologies pour appliquer la précontrainte :

3.1 Pré-tension (par fils adhérents)

Les armatures de précontrainte (généralement des fils ou des torons de petit diamètre) sont tendues avant le bétonnage, entre deux culées d'ancrage fixes (banc de précontrainte). Le béton est ensuite coulé autour des armatures tendues. Après durcissement suffisant du béton, les armatures sont relâchées des culées. En se raccourcissant élastiquement, elles transfèrent l'effort de précontrainte au béton par adhérence sur toute leur longueur.

Cette technique est principalement utilisée en préfabrication en usine pour la production d'éléments répétitifs (poutres de ponts, dalles alvéolées, poteaux, traverses de chemin de fer...).

Pré-tension Banc de Précontrainte Culée Culée Armature Tendue Béton coulé autour

Principe de la pré-tension sur banc.

3.2 Post-tension (par câbles sous gaines)

Les armatures de précontrainte (généralement des câbles constitués de plusieurs torons) sont placées dans des gaines laissées en attente dans le coffrage avant le bétonnage. Le béton est coulé et mis à durcir. Une fois que le béton a atteint une résistance suffisante, les câbles sont mis en tension à l'aide de vérins s'appuyant sur le béton durci via les dispositifs d'ancrage. Après mise en tension et blocage des câbles aux ancrages, les gaines sont généralement injectées au coulis de ciment.

Cette technique est très utilisée pour les ouvrages coulés en place (ponts construits par encorbellements successifs, dalles de grande portée, radiers, réservoirs...) ou pour l'assemblage d'éléments préfabriqués. Elle permet de réaliser des tracés de câbles courbes pour optimiser l'effet de la précontrainte.

Post-tension Béton Durci Gaine Câble (non tendu) Ancrage Ancrage Vérin Mise en Tension (Post-tension)

Principe de la post-tension.

3.3 Précontrainte Intérieure vs. Extérieure

  • Précontrainte intérieure : Les câbles sont logés à l'intérieur de la section de béton (dans des gaines injectées ou non). C'est le cas le plus courant.
  • Précontrainte extérieure : Les câbles sont situés à l'extérieur de la section de béton (mais à l'intérieur du contour de l'élément, ex: dans le vide d'un caisson de pont), et ne sont reliés au béton qu'au niveau des ancrages et de déviateurs éventuels. Permet l'inspection et le remplacement éventuel des câbles, mais moins efficace structurellement et nécessite une protection anti-corrosion des câbles très soignée.

3.4 Précontrainte Partielle vs. Totale

  • Précontrainte totale : L'effort de précontrainte est calculé pour que le béton reste entièrement comprimé sous l'effet des charges de service quasi-permanentes. Pas de traction, donc pas de fissuration en service. Obligatoire pour certains ouvrages (réservoirs...).
  • Précontrainte partielle : On accepte une légère traction, voire une fissuration limitée (ouverture maîtrisée) du béton sous charges de service fréquentes ou rares. Permet d'optimiser la quantité d'acier de précontrainte. Nécessite des armatures passives (béton armé) pour contrôler la fissuration.

4. Comportement et Analyse des Structures Précontraintes

4.1 Distribution des Contraintes

La précontrainte (force \(P\), excentrée de \(e\) par rapport au centre de gravité) induit dans la section une contrainte de compression (\(-P/A\)) et une contrainte de flexion (\(-P \cdot e \cdot z / I\)). Ces contraintes se superposent aux contraintes dues aux charges externes (\(M_{ext} \cdot z / I\)).

La contrainte totale en un point de coordonnée \(z\) est : \[ \sigma(z) = -\frac{P}{A} - \frac{P \cdot e}{I} z + \frac{M_{ext}}{I} z \] L'objectif est de choisir \(P\) et \(e\) pour que \(\sigma(z)\) reste dans des limites admissibles (compression limitée, traction limitée ou nulle) sous les différentes combinaisons de charges.

4.2 Pertes de Précontrainte

L'effort de précontrainte initial appliqué aux aciers diminue au cours du temps. Ces pertes sont inévitables et doivent être estimées précisément. On distingue :

  • Pertes Instantanées (à la mise en tension ou au transfert) :
    • Frottement dans les gaines (post-tension) : Dû à la courbure et aux déviations involontaires du tracé des câbles.
    • Recul d'ancrage (post-tension) : Léger glissement du câble dans l'ancrage lors du blocage.
    • Raccourcissement élastique du béton (pré-tension et post-tension par étapes).
  • Pertes Différées (dans le temps) :
    • Retrait du béton : Raccourcissement du béton qui détend les aciers.
    • Fluage du béton : Déformation différée du béton sous la compression permanente de la précontrainte, qui détend également les aciers.
    • Relaxation des aciers : Perte de tension de l'acier maintenu à longueur constante sous haute contrainte.

Les pertes totales peuvent atteindre 15 à 30% de la tension initiale et doivent être prises en compte pour déterminer la force de précontrainte effective à long terme.

4.3 Comportement en Flexion

Similaire au béton armé, mais les stades sont décalés par l'effet de la précontrainte :

  • Stade I (Élastique non fissuré) : Domaine de fonctionnement en service pour la précontrainte totale.
  • Stade de décompression : Les tractions dues aux charges annulent la pré-compression.
  • Stade II (Fissuré) : Apparition des fissures si les tractions dépassent la résistance du béton. Comportement en service pour la précontrainte partielle.
  • Stade III (Rupture) : Plastification de l'acier de précontrainte et/ou écrasement du béton comprimé. État limite ultime.

4.4 Comportement à l'Effort Tranchant et à la Torsion

La précontrainte (notamment par câbles inclinés) peut contribuer à la résistance à l'effort tranchant en introduisant une composante verticale et en améliorant la résistance du béton comprimé (frettage). Des armatures passives d'effort tranchant (cadres, étriers) restent néanmoins nécessaires. La torsion doit également être prise en compte et nécessite des armatures spécifiques.

5. Dimensionnement selon l'Eurocode 2

5.1 Principes Généraux et États Limites

Le dimensionnement suit l'approche aux états limites (ELU et ELS) décrite dans l'Eurocode 2 (partie EN 1992-1-1 pour les bâtiments, EN 1992-2 pour les ponts). Les principes sont similaires à ceux du béton armé, mais intègrent les effets spécifiques de la précontrainte et de ses pertes.

5.2 Vérifications à l'ELS

  • Limitation des contraintes : Vérification des contraintes de compression dans le béton et de traction (ou compression) dans les aciers de précontrainte et passifs, sous différentes combinaisons de charges et à différentes étapes (mise en tension, service).
  • Maîtrise de la fissuration : Vérification de l'absence de traction (précontrainte totale) ou limitation de l'ouverture des fissures (précontrainte partielle) sous les combinaisons d'actions de service appropriées.
  • Limitation des déformations : Calcul et vérification des flèches (instantanées et différées), en tenant compte du fluage, du retrait et des pertes de précontrainte.

5.3 Vérifications à l'ELU

  • Résistance en flexion : Calcul de la résistance ultime de la section en tenant compte de la plastification des aciers (précontrainte et passifs) et du diagramme de calcul du béton.
  • Résistance à l'effort tranchant : Vérification combinée de la résistance des bielles de béton et des armatures transversales (actives et passives).
  • Résistance à la torsion, au poinçonnement, au flambement... si applicable.

5.4 Prise en Compte des Pertes de Précontrainte

Le calcul précis des pertes de précontrainte (instantanées et différées) est une étape essentielle du dimensionnement, car elles déterminent la force de précontrainte effective agissant sur la structure à court et long terme. L'Eurocode 2 propose des méthodes détaillées pour leur estimation.

6. Mise en Œuvre et Contrôle

6.1 Préfabrication (Pré-tension)

Réalisée en usine sur des bancs de précontrainte. Nécessite des équipements spécifiques (culées résistantes, systèmes de mise en tension, dispositifs de coupe des fils). Contrôle rigoureux de la tension appliquée et de la résistance du béton au moment du transfert.

6.2 Mise en Place des Câbles et Ancrages (Post-tension)

Sur chantier, positionnement précis des gaines et des ancrages dans les coffrages avant bétonnage. Enfilage des câbles (torons) dans les gaines après bétonnage.

6.3 Mise en Tension des Câbles

Opération délicate réalisée à l'aide de vérins hydrauliques spécifiques, après que le béton a atteint la résistance requise. La force appliquée et l'allongement du câble sont mesurés et comparés aux valeurs théoriques pour contrôler l'effort réellement introduit. La mise en tension peut se faire par une ou deux extrémités, et souvent par étapes successives.

6.4 Injection des Gaines

Préparation et injection d'un coulis de ciment fluide et stable sous pression contrôlée pour remplir complètement l'espace entre le câble et la gaine. Essentiel pour la protection contre la corrosion et l'adhérence.

6.5 Contrôles de Qualité

Contrôles rigoureux à toutes les étapes : qualité des matériaux (béton, aciers, coulis), positionnement des gaines et armatures, opérations de mise en tension (force, allongement), qualité de l'injection (remplissage, absence de vides).

7. Applications et Avantages/Inconvénients

7.1 Domaines d'Application

  • Ponts : Très largement utilisé pour les ponts de moyenne et grande portée (poutres préfabriquées, ponts poussés, ponts construits par encorbellements...).
  • Bâtiments : Dalles de grande portée (parkings, bureaux, centres commerciaux), poutres de grande portée, planchers préfabriqués (dalles alvéolées).
  • Ouvrages de soutènement et fondations : Tirants d'ancrage précontraints.
  • Réservoirs et enceintes de confinement : Pour assurer l'étanchéité et la résistance à la pression interne.
  • Poteaux, pylônes, mâts.

7.2 Avantages

  • Permet de franchir de plus grandes portées.
  • Réduit les hauteurs de structure et le poids propre.
  • Maîtrise de la fissuration et amélioration de la durabilité.
  • Meilleure résistance à la fatigue.
  • Réduction des déformations (flèches).

7.3 Inconvénients

  • Coût initial plus élevé que le béton armé (matériaux spécifiques, mise en œuvre plus complexe).
  • Nécessite une conception et une exécution plus pointues et un contrôle qualité rigoureux.
  • Réparations plus complexes en cas de dégradation (ex: corrosion des câbles).
  • Moins de capacité de redistribution plastique que le béton armé très ferraillé (comportement potentiellement plus fragile si mal conçu).

8. Conclusion

Le béton précontraint représente une avancée significative par rapport au béton armé, permettant de repousser les limites en termes de portées franchissables, d'élancement des structures et de maîtrise de la fissuration et des déformations. Son principe ingénieux d'introduction de compressions préalables pour contrer les tractions de service optimise l'utilisation du béton et permet l'emploi d'aciers à très haute performance.

Les technologies de pré-tension et de post-tension offrent une grande flexibilité d'application, de la préfabrication en série aux grands ouvrages coulés en place. Cependant, la conception et la mise en œuvre du béton précontraint exigent une expertise technique approfondie, notamment pour le calcul des pertes de précontrainte et le contrôle rigoureux de l'exécution. Malgré un coût initial plus élevé, le béton précontraint s'impose souvent comme la solution la plus pertinente technico-économiquement pour les ouvrages exigeants en termes de performance structurale et de durabilité.

Technologie du Béton Précontraint

Exercices et Corrigé de béton précontraint:

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