Fondations Superficielles et Profondes
Le choix et la conception des fondations sont déterminants pour la pérennité de toute structure. Parmi les différentes solutions techniques, les fondations superficielles et les fondations profondes représentent les deux grandes familles les plus couramment employées. Les fondations superficielles transmettent les charges au sol à faible profondeur, tandis que les fondations profondes vont chercher un sol résistant plus en profondeur ou mobilisent le frottement latéral. Ce cours détaille les caractéristiques, les domaines d'application, les méthodes de conception et de réalisation de ces deux types de fondations essentiels en génie civil.
Sommaire
- 1. Introduction et Contexte Géotechnique
- 2. Fondations Superficielles
- 3. Fondations Profondes
- 3.1 Définition et Types (Pieux, Barrettes)
- 3.2 Domaines d'Application et Avantages/Inconvénients
- 3.3 Mécanismes de Transfert de Charge (Pointe, Frottement)
- 3.4 Dimensionnement Géotechnique (Capacité Portante Axiale et Transversale)
- 3.5 Effets de Groupe et Tassements
- 3.6 Dimensionnement Structural (Pieu, Chevêtre)
- 3.7 Techniques de Mise en Œuvre
- 4. Pathologies et Contrôles
- 5. Conclusion et Critères de Choix
1. Introduction et Contexte Géotechnique
1.1 Rôle des Fondations et Interaction Sol-Structure
Comme vu précédemment, les fondations assurent la transmission des charges de l'ouvrage vers le sol. Cette transmission doit se faire sans dépasser la capacité de résistance du sol et en limitant les déformations (tassements) à des valeurs compatibles avec le bon comportement de la superstructure.
Le choix entre une fondation superficielle (qui s'appuie sur les couches de sol proches de la surface) et une fondation profonde (qui reporte les charges sur des couches plus profondes et/ou mobilise le frottement latéral) dépend fondamentalement des caractéristiques du sol rencontré et de l'intensité des charges à transmettre.
1.2 Importance de la Reconnaissance des Sols
Il est impossible de concevoir correctement une fondation, qu'elle soit superficielle ou profonde, sans une connaissance précise du sol en place. L'étude géotechnique est donc une étape préalable indispensable.
Elle doit permettre de déterminer :
- La stratigraphie : Nature, épaisseur et disposition des différentes couches de sol.
- Les caractéristiques mécaniques de chaque couche : résistance au cisaillement (\(c, \phi\)), compressibilité (\(E_{oed}, C_c\)), paramètres pressiométriques (\(E_M, p_{LM}\)), résistance de pointe (\(q_c\))...
- La position et les variations éventuelles de la nappe phréatique.
- L'agressivité potentielle du sol ou de l'eau vis-à-vis des matériaux de fondation (béton, acier).
Ces informations conditionneront directement le choix du type de fondation et les paramètres de calcul pour le dimensionnement.
2. Fondations Superficielles
2.1 Définition et Types (Semelles, Radiers)
Une fondation est dite superficielle lorsque sa profondeur d'encastrement \(D\) (distance entre la base de la fondation et le niveau du sol fini le plus bas) est faible par rapport à sa largeur \(B\). Typiquement, on considère une fondation superficielle si \(D/B \le 4\) à \(6\). Elles transmettent les charges au sol principalement par contact direct sous leur base.
Les principaux types sont :
- Semelles isolées : Reprennent la charge d'un poteau unique. Généralement carrées ou rectangulaires en plan.
- Semelles filantes : Reprennent les charges d'un mur ou d'une file de poteaux rapprochés. Leur longueur est grande par rapport à leur largeur.
- Radiers généraux : Dalle unique couvrant toute ou une grande partie de l'emprise de la structure. Ils constituent une sorte de semelle unique inversée.
Fondations superficielles : semelle isolée, semelle filante, radier général.
2.2 Domaines d'Application et Avantages/Inconvénients
Les fondations superficielles sont privilégiées lorsque :
- Le sol en surface présente des caractéristiques mécaniques suffisantes (bonne capacité portante, faible compressibilité).
- Les charges transmises par la structure sont modérées.
- La profondeur hors-gel et la profondeur d'atteinte du "bon sol" sont faibles.
Avantages :
- Solution généralement la plus économique.
- Mise en œuvre rapide et simple (techniques de terrassement et de bétonnage courantes).
- Facilité de contrôle visuel du fond de fouille.
Inconvénients :
- Ne conviennent pas si le bon sol est profond ou si les charges sont très élevées.
- Sensibles aux variations de volume des sols superficiels (argiles gonflantes, gel/dégel) si pas assez profondes.
- Peuvent induire des tassements différentiels importants sur sols hétérogènes si non conçues spécifiquement (ex: usage d'un radier ou de longrines de rigidification).
- Emprise au sol importante pour les radiers.
2.3 Dimensionnement Géotechnique (Capacité Portante, Tassements)
Capacité Portante (ELU)
On vérifie que la contrainte verticale transmise au sol par la fondation sous les charges ELU (\(q_{ELU}\)) ne dépasse pas la résistance de calcul du sol (\(R_d\)). \[ q_{ELU} = \frac{V_{d}}{A'} \le R_d = \frac{q_{ult}}{\gamma_R} \] où \(V_d\) est la charge verticale de calcul à l'ELU, \(A'\) est l'aire efficace de la semelle (tenant compte de l'excentricité éventuelle), \(q_{ult}\) est la capacité portante ultime du sol, et \(\gamma_R\) est un facteur de sécurité partiel.
La capacité portante ultime \(q_{ult}\) est calculée à partir des caractéristiques du sol (\(c, \phi, \gamma\)) et de la géométrie de la fondation (\(B, L, D\)) en utilisant des formules empiriques ou théoriques (ex: Eurocode 7, Terzaghi, Meyerhof...). Ces formules font intervenir des facteurs de capacité portante (\(N_c, N_q, N_\gamma\)) et des facteurs correctifs (forme, profondeur, inclinaison de la charge, inclinaison du terrain).
Tassements (ELS)
On calcule le tassement total \(s = s_i + s_c + s_s\) sous les charges ELS et on vérifie qu'il reste inférieur à une valeur admissible (souvent 25 à 50 mm pour les bâtiments courants).
Plus important encore, on évalue le tassement différentiel \(\Delta s\) entre différents points d'appui (ex: entre deux semelles isolées) et on vérifie qu'il reste inférieur à la limite supportable par la superstructure (ex: \(\Delta s / L \le 1/500\), où L est la distance entre les points). Le calcul précis des tassements, surtout en sol fin, est complexe et nécessite des méthodes basées sur l'élasticité ou la consolidation (œdomètre).
2.4 Dimensionnement Structural
La semelle ou le radier doit être dimensionné(e) en béton armé pour résister aux efforts internes générés par la réaction du sol.
- Flexion : La pression du sol sous la semelle crée des moments fléchissants qui tendent les aciers inférieurs. Le calcul se fait en considérant des sections critiques (encastrements) au nu du poteau ou du mur.
- Poinçonnement : Le poteau exerce un effort concentré qui peut "poinçonner" la semelle. On vérifie la contrainte de cisaillement dans le béton sur un contour critique autour du poteau. Si nécessaire, des armatures de poinçonnement sont ajoutées.
- Effort tranchant : Vérification de la résistance au cisaillement sur des sections critiques.
- Dispositions constructives : Respect de l'enrobage minimal, des diamètres et espacements d'armatures, ancrages corrects.
2.5 Aspects Constructifs
La mise en œuvre doit être soignée :
- Respect des cotes de terrassement et de la profondeur hors-gel.
- Nettoyage et réception du fond de fouille (pas de remaniement, pas d'eau stagnante).
- Mise en place d'un béton de propreté si nécessaire (propreté, support stable pour ferraillage).
- Calage correct des armatures pour garantir l'enrobage.
- Bétonnage et vibration conformes aux règles de l'art.
- Protection contre le séchage rapide (cure).
3. Fondations Profondes
3.1 Définition et Types (Pieux, Barrettes)
Les fondations profondes sont utilisées lorsque les couches de sol superficielles sont de mauvaise qualité ou que les charges sont trop importantes pour des fondations superficielles économiques. Elles reportent les charges sur des couches de sol plus résistantes situées en profondeur (\(D/B > 6\)-\(10\)) ou mobilisent la résistance du sol par frottement le long de leur fût.
Les principaux types sont :
- Pieux : Éléments de forme généralement cylindrique et de grande longueur par rapport à leur diamètre. On distingue de nombreuses techniques de mise en œuvre :
- Pieux battus (préfabriqués béton, métalliques, bois)
- Pieux forés (simple, tubé, à la boue, tarière creuse)
- Micropieux (forés, petit diamètre, souvent scellés au coulis)
- Pieux vissés, etc.
- Barrettes : Pieux forés de section rectangulaire, réalisés à la benne ou à l'hydrofraise, souvent sous protection de boue. Offrent une grande capacité portante et une bonne résistance aux efforts horizontaux.
Les pieux ou barrettes sont généralement groupés sous les éléments porteurs de la superstructure (poteaux, culées de pont) et reliés en tête par un élément massif en béton armé appelé chevêtre (ou semelle sur pieux).
Fondations profondes : groupe de pieux sous chevêtre et barrette.
3.2 Domaines d'Application et Avantages/Inconvénients
Les fondations profondes sont nécessaires quand :
- Le sol superficiel est de mauvaise qualité (faible portance, forte compressibilité, présence de vides ou de sols organiques).
- Le substratum rocheux ou une couche très résistante se trouve à grande profondeur.
- Les charges à transmettre sont très importantes (grands immeubles, ponts, ouvrages industriels).
- Il faut résister à des efforts de soulèvement importants (structures légères en site inondable, pylônes).
- Il faut limiter les tassements de manière très stricte.
- Les conditions de site imposent une solution peu invasive (reprise en sous-œuvre, site exigu).
Avantages :
- Permettent de fonder des ouvrages sur des sites difficiles.
- Grande capacité portante.
- Tassements généralement faibles et mieux maîtrisés.
- Bonne résistance aux efforts horizontaux et au soulèvement (selon le type).
Inconvénients :
- Coût généralement plus élevé que les fondations superficielles.
- Mise en œuvre nécessitant des matériels spécifiques et des entreprises spécialisées.
- Techniques parfois génératrices de nuisances (bruit, vibrations pour les pieux battus).
- Contrôle de la qualité d'exécution plus complexe.
- Risques liés à l'exécution (anomalies dans le fût des pieux forés).
3.3 Mécanismes de Transfert de Charge (Pointe, Frottement)
Un pieu isolé transmet la charge verticale \(Q\) au sol par deux mécanismes :
- Résistance de pointe (\(Q_b\)) : Mobilisée à la base du pieu, par contact avec la couche d'assise. Dépend de la capacité portante du sol à ce niveau (\(q_b\)) et de la section de la base (\(A_b\)). \(Q_b = q_b \times A_b\).
- Frottement latéral (\(Q_s\)) : Mobilisé le long du fût du pieu, par cisaillement entre le pieu et le sol environnant. Dépend de la contrainte de cisaillement limite (\(q_s(z)\)) à chaque profondeur \(z\) et de la surface latérale du pieu (\(P \times L\), où P est le périmètre et L la longueur). \(Q_s = \int_0^L q_s(z) P dz\).
La capacité portante totale du pieu est \(Q_{ult} = Q_b + Q_s\).
Selon la nature du sol et la longueur du pieu, l'un ou l'autre terme peut être prépondérant :
- Pieux travaillant principalement en pointe : Ancrés dans une couche très résistante (rocher, sable très dense). Le frottement latéral est négligé ou faible.
- Pieux flottants : Traversent des couches peu résistantes et mobilisent essentiellement le frottement latéral. La résistance de pointe est faible.
3.4 Dimensionnement Géotechnique (Capacité Portante Axiale et Transversale)
Capacité Portante Axiale (ELU)
On calcule la résistance de calcul du pieu \(R_{c;d}\) en combinant les résistances de pointe et de frottement latéral calculées à partir des essais in situ (pressiomètre, pénétromètre) ou de méthodes empiriques, et en appliquant des facteurs de sécurité partiels. On vérifie que la charge axiale de calcul \(F_{c;d}\) appliquée au pieu est inférieure à cette résistance : \(F_{c;d} \le R_{c;d}\).
Les méthodes de calcul sont détaillées dans l'Eurocode 7 et les normes nationales associées. Elles dépendent fortement du type de pieu et de la méthode de mise en œuvre.
Capacité Portante Transversale (ELU)
Les pieux peuvent aussi être soumis à des efforts horizontaux (\(F_{t;d}\)). On vérifie leur résistance transversale (\(R_{t;d}\)), qui dépend de la réaction latérale du sol (modélisée par des courbes p-y ou un module de réaction horizontal) et de la résistance structurale du pieu lui-même en flexion. \(F_{t;d} \le R_{t;d}\).
Résistance au Soulèvement (ELU)
Si le pieu est soumis à des efforts de traction (\(F_{t;d,tens}\)), on vérifie que la résistance au soulèvement (\(R_{tens;d}\)), mobilisée principalement par le frottement latéral négatif et le poids propre, est suffisante : \(F_{t;d,tens} \le R_{tens;d}\).
3.5 Effets de Groupe et Tassements
Effet de Groupe
Lorsque les pieux sont rapprochés (en groupe sous un chevêtre), leur comportement individuel est modifié. Les bulbes de contrainte sous chaque pieu interagissent, ce qui peut réduire la capacité portante globale du groupe par rapport à la somme des capacités individuelles. On applique un coefficient d'efficacité du groupe (\(\eta < 1\)) pour en tenir compte.
Tassements (ELS)
Le tassement d'un groupe de pieux est généralement plus important que celui d'un pieu isolé sous la même charge moyenne. Il est calculé en considérant le groupe comme une fondation fictive équivalente reposant à une certaine profondeur. Les tassements des fondations profondes sont généralement plus faibles que ceux des fondations superficielles pour des charges équivalentes, mais leur calcul reste complexe.
3.6 Dimensionnement Structural (Pieu, Chevêtre)
- Pieu : Doit être dimensionné comme un poteau en béton armé (ou un élément métallique) soumis à la compression axiale, éventuellement à la flexion (due aux efforts transversaux ou aux imperfections) et au risque de flambement dans les couches de sol très meubles. Le ferraillage longitudinal et transversal (cadres, frettes) est calculé selon l'Eurocode 2.
- Chevêtre : Doit être dimensionné comme une semelle épaisse rigide ou flexible reposant sur les pieux. Il est soumis à la flexion, à l'effort tranchant et au poinçonnement par les poteaux de la superstructure et par les réactions des pieux. Le calcul des armatures (nappes inférieures, supérieures, armatures de poinçonnement et de couture) est complexe et se fait souvent par des méthodes de bielles et tirants ou par éléments finis.
3.7 Techniques de Mise en Œuvre
La qualité de la mise en œuvre est cruciale pour les fondations profondes. Chaque technique (battage, forage, vissage...) a ses spécificités, ses avantages, ses inconvénients et ses risques propres qui doivent être maîtrisés par l'entreprise d'exécution. Les contrôles pendant et après travaux sont essentiels.
4. Pathologies et Contrôles
4.1 Pathologies Spécifiques aux Fondations Superficielles
- Tassements différentiels dus aux variations d'humidité des sols argileux (sécheresse, fuites, végétation proche).
- Affouillements en bord de rivière ou sous l'action des eaux de ruissellement.
- Portance insuffisante suite à une mauvaise reconnaissance ou à une modification des charges.
- Remontées capillaires si l'arase sanitaire est mal conçue.
4.2 Pathologies Spécifiques aux Fondations Profondes
- Défauts d'exécution des pieux forés : étranglement ou coupe du fût (remontée du tube trop rapide), contamination du béton par la boue ou le sol, mauvaise qualité du béton en tête, cage d'armatures mal positionnée.
- Rupture ou endommagement des pieux battus lors de la mise en œuvre (refus prématuré, flambement).
- Capacité portante réelle inférieure aux prévisions (mauvaise évaluation du sol, défaut d'exécution).
- Corrosion des pieux métalliques ou des armatures des pieux béton.
- Tassements excessifs du groupe de pieux.
- Flambement des pieux dans les couches très molles.
4.3 Méthodes de Contrôle et d'Auscultation
Outre les contrôles visuels et les essais géotechniques initiaux, des méthodes spécifiques permettent de vérifier la qualité des fondations réalisées et de suivre leur comportement :
- Contrôle des Fondations Superficielles : Vérification des dimensions, du fond de fouille, du ferraillage, de la qualité du béton. Suivi des tassements par nivellement.
- Contrôle des Fondations Profondes :
- Suivi des paramètres d'exécution (couple de forage, pression de bétonnage, énergie de battage...).
- Essais d'intégrité non destructifs :
- Impédance mécanique (ou sonique) : Envoi d'une onde de choc en tête et analyse de l'écho. Simple et rapide pour détecter des anomalies majeures.
- Transparence sonique (Cross-hole) : Mesure de la vitesse des ultrasons entre tubes réservés dans le pieu. Plus précis pour localiser les défauts.
- Sismique parallèle : Analyse des ondes sismiques se propageant le long du pieu.
- Essais de chargement :
- Chargement statique : Application progressive d'une charge importante (vérins appuyés sur un massif de réaction) et mesure du déplacement. Méthode de référence mais coûteuse et longue.
- Chargement dynamique (type Statnamic ou par battage instrumenté) : Application d'une charge rapide et analyse de la réponse dynamique pour en déduire la capacité portante. Plus rapide et économique.
- Carottage du pieu (en dernier recours).
5. Conclusion et Critères de Choix
Le choix entre fondations superficielles et profondes est une décision majeure dans un projet de construction, fortement conditionnée par l'étude géotechnique.
Les fondations superficielles sont la solution de référence, privilégiée pour sa simplicité et son économie, lorsque les couches de sol proches de la surface sont suffisamment résistantes et peu déformables pour reprendre les charges de l'ouvrage en respectant les critères de portance et de tassement.
Les fondations profondes deviennent nécessaires lorsque le "bon sol" est trop profond, que les charges sont très élevées, ou que des contraintes spécifiques (soulèvement, efforts horizontaux importants, limitation stricte des tassements) l'imposent. Bien que plus coûteuses et techniquement plus complexes, elles permettent de réaliser des ouvrages dans des conditions de sol difficiles.
Dans les deux cas, une conception rigoureuse basée sur une reconnaissance géotechnique fiable, un dimensionnement respectant les normes (Eurocodes 7 et 2 notamment), et une exécution soignée accompagnée de contrôles adaptés sont les garants de la sécurité et de la durabilité de l'ouvrage.
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