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DatePar EGC
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Comportement de l’Acier en Béton Armé - Manuel Expert

Comportement de l’Acier en Béton Armé

Si le béton excelle en compression, sa résistance à la traction est négligeable, rendant son utilisation seule impossible pour les éléments fléchis. C'est là qu'intervient l'acier. Le mariage de ces deux matériaux repose sur une synergie mécanique et chimique quasi-miraculeuse. Ce cours explore en profondeur les propriétés métallurgiques de l'acier d'armature, son comportement élasto-plastique réel, les mécanismes complexes de l'adhérence par bielles de compression et les règles normatives avancées (Eurocode 2 & 8) garantissant la pérennité des structures.

1. Métallurgie et Typologie

1.1 Procédé Tempcore et Microstructure

L'acier pour béton armé moderne (FeE500) tire ses propriétés d'un procédé métallurgique spécifique : le Tempcore. À la sortie du laminoir à chaud, la barre subit un refroidissement brutal en surface (trempe) par jets d'eau, transformant la couche externe en martensite (très dure et résistante). Le cœur, resté chaud, transfère ensuite sa chaleur vers la surface (auto-revenu), transformant la martensite en martensite revenue (plus ductile), tandis que le cœur devient ferrito-perlitique (très ductile). On obtient ainsi un matériau composite naturel : une peau dure et un cœur souple.

1.2 Chimie : Carbone Équivalent & Soudabilité

La soudabilité est critique pour les assemblages sur chantier. Elle dépend de la composition chimique, résumée par le Carbone Équivalent (\(C_{eq}\)). Une valeur trop élevée favorise la formation de structures fragiles lors du refroidissement de la soudure.

La formule usuelle est :

\[C_{eq} = C + \frac{Mn}{6} + \frac{Cr+Mo+V}{5} + \frac{Ni+Cu}{15}\]

Pour les aciers B500B, la norme exige généralement \(C_{eq} \le 0.50\%\). Au-delà, le préchauffage avant soudure devient obligatoire pour éviter la fissuration à froid.

1.3 Types de Produits

  • Barres Haute Adhérence (HA) : Laminées à chaud. Diamètres normalisés : 6, 8, 10, 12, 14, 16, 20, 25, 32, 40 mm. Les verrous (reliefs) augmentent l'adhérence d'un facteur 2 à 3 par rapport aux ronds lisses.
  • Treillis Soudés (TS) : Nappes préfabriquées. Attention, l'acier des TS est souvent tréfilé à froid, ce qui lui confère une ductilité moindre (Classe A) par rapport aux barres laminées (Classe B).
  • Acier Inox (304L / 316L) : Utilisé pour les ancrages de façade ou les ouvrages marins (zone de marnage). Indispensable quand l'enrobage ne peut être garanti ou pour une durée de vie > 100 ans.
Morphologie des Armatures
Rond Lisse (FeE235)
Haute Adhérence (FeE500)

2. Comportement Mécanique Approfondi

2.1 Loi de Hooke, Écrouissage et Rupture

Sous charge monotone croissante, l'acier présente :

  1. Phase Élastique : Comportement réversible régi par le Module d'Young \(E_s = 200 000 \text{ MPa}\).
  2. Palier d'Écoulement : Pour les aciers doux, un palier horizontal net apparaît à \(f_y\). Pour les aciers écrouis à froid, la transition est courbe (limite conventionnelle à 0.2%).
  3. Écrouissage : Après le palier, la contrainte remonte jusqu'à la résistance ultime à la traction \(f_t\) (ou \(f_m\)).
  4. Striction : Réduction localisée de la section avant la rupture finale.

2.2 Classes de Ductilité Eurocode (A, B, C)

L'Eurocode 2 classe les aciers selon leur capacité de déformation plastique, définie par l'allongement sous charge maximale (\(\varepsilon_{uk}\)) et le rapport de durcissement (\(k = f_t/f_y\)).

Classe Allongement \(\varepsilon_{uk}\) min Ratio \(k = (f_t/f_y)_k\) min Usage
A (Normale) \(\ge 2.5\%\) \(\ge 1.05\) Treillis soudés, dalles peu sollicitées.
B (Haute) \(\ge 5.0\%\) \(\ge 1.08\) Standard bâtiment et génie civil courant.
C (Sismique) \(\ge 7.5\%\) \(\ge 1.15\) et \(< 1.35\) Zones sismiques, ouvrages nucléaires.
Diagramme Contrainte-Déformation (Modèle ELU)
ε (Déformation) σ f_yd ε_yd ε_uk (10‰) Pente E_s = 200 GPa Élastique Plastique (Palier de calcul)

2.4 Comportement Thermique (Feu)

La conductivité thermique de l'acier (\(\lambda \approx 50 W/m.K\)) est bien supérieure à celle du béton (\(\lambda \approx 1.5 W/m.K\)).
À 500°C, la limite élastique efficace chute à environ 50% de sa valeur initiale.
À 800°C, elle n'est plus que de 10%.
Le calcul de résistance au feu consiste à vérifier que la température de l'acier, retardée par l'épaisseur d'enrobage béton (qui agit comme bouclier thermique), ne dépasse pas la température critique au temps \(t\) requis.

3. Mécanique de l'Adhérence

3.1 Interaction Verrous-Béton

L'adhérence n'est pas un collage. C'est un mécanisme de bielles de compression. Les verrous de la barre poussent sur le béton, créant des bielles inclinées à environ 45°. La composante radiale de ces bielles tend à faire éclater le béton environnant (traction annulaire). C'est pourquoi un enrobage minimal ou des cadres transversaux sont nécessaires pour "cercler" cette pression et empêcher l'éclatement.

3.3 Ancrage : Formule Complète \(l_{bd}\)

La longueur d'ancrage de calcul selon l'Eurocode 2 est :

\[l_{bd} = \alpha_1 \alpha_2 \alpha_3 \alpha_4 \alpha_5 \times l_{b,rqd} \ge l_{b,min}\]
  • \(l_{b,rqd} = (\phi/4) \times (\sigma_{sd} / f_{bd})\) : Longueur de base.
  • \(\alpha_1\) : Forme de la barre (0.7 pour crochets si enrobage suffisant).
  • \(\alpha_2\) : Effet de l'enrobage minimal (0.7 à 1.0).
  • \(\alpha_3\) : Confinement par armatures transversales (non soudées).
  • \(\alpha_4\) : Confinement par armatures transversales soudées.
  • \(\alpha_5\) : Effet de la pression transversale (frettage).

Le produit \(\alpha_2 \alpha_3 \alpha_5 \ge 0.7\).

3.4 Couture des Jonctions (Recouvrement)

Dans une zone de recouvrement, l'effort passe d'une barre à l'autre à travers le béton. Les bielles de compression créent une force d'écartement transversale importante. Si \(l_0\) (longueur de recouvrement) est trop courte, ou s'il manque d'aciers transversaux (aciers de couture), le béton se fend longitudinalement et la jonction zippe.
Note : En zone sismique, les recouvrements sont interdits dans les zones dissipatives (nœuds).

4. Dispositions Constructives & Durabilité

4.1 Calcul de l'Enrobage Nominal (\(c_{nom}\))

L'enrobage n'est pas choisi au hasard. Il est la somme de l'enrobage minimum technique et d'une marge de tolérance d'exécution.

\[c_{nom} = c_{min} + \Delta c_{dev}\] \[c_{min} = \max \{ c_{min,b} ; c_{min,dur} + \Delta c_{dur,\gamma} - \Delta c_{dur,st} - \Delta c_{dur,add} ; 10 \text{ mm} \}\]
  • \(c_{min,b}\) : Enrobage mécanique (\(\ge \phi\) de la barre).
  • \(c_{min,dur}\) : Lié à la classe d'exposition (ex: 30mm pour XC3).
  • \(\Delta c_{dev}\) : Tolérance d'exécution (généralement 10mm pour le béton coulé en place).

4.3 Pression Diamétrale (Mandrins)

Lorsqu'une barre courbe est tendue, elle exerce une pression radiale sur le béton à l'intérieur du coude :

\[p = \frac{F_{traction}}{R \cdot \phi}\]

Si le rayon de courbure \(R\) est trop petit, \(p\) dépasse la résistance locale du béton, qui s'écrase. Le mandrin de cintrage doit être calculé pour limiter cette pression, surtout pour les gros diamètres (> 20mm).

5. Stratégies de Ferraillage

5.1 Poutres : Analogie du Treillis de Mörsch

Le comportement d'une poutre fissurée est modélisé par un treillis imaginaire :

  • Membrure supérieure : Béton comprimé.
  • Membrure inférieure : Aciers longitudinaux tendus.
  • Diagonales comprimées : Bielles de béton inclinées (\(\theta\)).
  • Montants tendus : Cadres/Étriers verticaux.

L'Eurocode permet de choisir l'angle \(\theta\) des bielles (entre 21.8° et 45°), ce qui permet d'optimiser la quantité d'aciers transversaux (Vcc).

Cadre HA8 4 HA16 (Filants)
Section Transversale

5.3 Modèles Bielles-Tirants (Zones D)

Dans les zones de discontinuité (consoles courtes, abouts de poutres, trémies), la section plane ne reste pas plane. On trace alors explicitement le cheminement des forces : des bielles de béton (Struts) pour la compression et des tirants d'acier (Ties) pour la traction. Les nœuds (Nodes) doivent être vérifiés en compression triaxiale. C'est l'outil ultime de l'ingénieur béton pour les formes complexes.

6. Génie Parasismique (EC8)

Dissipation d'Énergie

Un séisme injecte une énergie cinétique massive dans le bâtiment. Pour éviter la rupture, la structure doit consommer cette énergie par déformation plastique (hystérésis). On crée volontairement des zones fusibles (rotules plastiques) aux extrémités des poutres, conçues pour s'endommager sans s'effondrer, protégeant ainsi les poteaux vitaux (concept "Poteau fort - Poutre faible").

Cela exige des aciers de classe C et un frettage (confinement) très dense dans les zones critiques pour empêcher le flambement des barres comprimées lorsque le béton d'enrobage a éclaté.

7. Pathologies Avancées

7.1 Corrosion par Piqures (Pitting)

En présence de chlorures (sel marin, déverglaçage), la corrosion n'est pas uniforme mais locale et perforante. Les ions \(Cl^-\) brisent localement le film de passivation même à pH élevé. L'anode (le trou) est très petite et la cathode (le reste de la barre) très grande, ce qui accélère la vitesse de corrosion de manière exponentielle. La barre peut être sectionnée sans signe extérieur visible majeur.

7.3 Fatigue

Sous chargement cyclique (ponts ferroviaires, voies de grue), l'acier subit des variations de contrainte \(\Delta \sigma\). Même si \(\sigma_{max} < f_y\), des micro-fissures peuvent se propager. La courbe de Wöhler (S-N curve) définit le nombre de cycles admissibles pour une amplitude donnée. Les mandrins de cintrage et les soudures sont les points faibles en fatigue.

8. Dimensionnement (ELU & ELS)

8.1 Hypothèses de Calcul ELU

On considère le diagramme des déformations limites (les "Pivots").
La résistance de calcul de l'acier est :

\[f_{yd} = \frac{f_{yk}}{\gamma_s}\]

(\(\gamma_s = 1.15\) en situation durable, \(1.0\) en accidentel).
Le béton tendu est négligé. Seuls les aciers reprennent la traction.

8.2 Contrôle de Fissuration (\(w_{max}\))

L'ouverture des fissures \(w_k\) est calculée à l'ELS. Elle dépend de :

  • La contrainte dans l'acier \(\sigma_s\).
  • Le diamètre des barres \(\phi\) (plus elles sont fines, mieux la fissuration est répartie).
  • L'enrobage et l'espacement.
Pour les ouvrages étanches (réservoirs), on limite \(w_{max}\) à 0.1 ou 0.2 mm. Pour le bâtiment courant (XC1), 0.3 ou 0.4 mm est acceptable.

9. Glossaire Expert

Carbone Équivalent (\(C_{eq}\)) Indice chimique déterminant la soudabilité de l'acier. Doit être < 0.50%.
Rotule Plastique Zone d'un élément structurel conçue pour subir de grandes déformations inélastiques et dissiper l'énergie sismique.
Longueur d'ancrage (\(l_{bd}\)) Longueur d'immersion nécessaire pour qu'une barre puisse atteindre sa limite élastique sans glisser.
Bielles et Tirants Modèle de calcul pour les zones de discontinuité (D-regions) représentant les flux de forces internes.
Spalling Éclatement explosif du béton sous l'effet de la chaleur (feu), exposant les armatures.

10. Conclusion

L'acier pour béton armé est un matériau de haute technicité. Sa maîtrise ne se limite pas au calcul d'une section en cm² (AS). Elle exige une compréhension intime de la métallurgie (pour la soudabilité et la ductilité), de la mécanique de l'adhérence (pour les ancrages), de la thermique (pour l'incendie) et de l'électrochimie (pour la corrosion). L'ingénieur structure expert ne se contente pas d'appliquer des formules ; il conçoit des détails constructifs robustes qui garantissent que l'acier pourra jouer son rôle de "fusible ductile" en cas de surcharge extrême, sauvant ainsi des vies.

Cours de Génie Civil - Module Structures Béton Armé - Niveau Master/Ingénieur

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