Mesure des Contraintes de Sols

Mesure des Contraintes de Sols

Mesure des Contraintes de Sols

La connaissance des contraintes (ou pressions) présentes dans un sol est fondamentale en géotechnique pour comprendre le comportement des sols sous les charges des structures et pour concevoir des fondations, des murs de soutènement, des tunnels, etc. Les contraintes dans le sol existent naturellement (contraintes in-situ) ou sont induites par les constructions. Ce cours explore les principes et les méthodes de mesure de ces contraintes.

1. Introduction aux Contraintes de Sols : Les Pressions dans la Terre

Imaginez le sol sous vos pieds comme une immense pile de petits grains (sable, argile, limon) avec de l'eau et de l'air entre eux. Tout ce "mélange" a un poids, et ce poids appuie sur les couches de sol en dessous. Si vous construisez une maison ou un pont sur ce sol, le poids de la structure s'ajoute aussi à cette pression. Cette pression, ou force répartie sur une surface, c'est ce qu'on appelle une contrainte.

En géotechnique (la science qui étudie les sols et les roches en ingénierie), comprendre ces contraintes est super important. Elles nous disent comment le sol va réagir : va-t-il s'enfoncer (se tasser) ? Va-t-il glisser et s'effondrer (rompre) ? Pour concevoir des fondations solides, des murs qui tiennent, ou des tunnels sûrs, il faut absolument connaître les contraintes dans le sol.

Les contraintes peuvent être vues comme des forces qui poussent ou tirent sur de petites surfaces à l'intérieur du sol. On s'intéresse surtout aux contraintes qui appuient perpendiculairement (contraintes normales) et à celles qui essaient de faire glisser les couches entre elles (contraintes tangentielles ou de cisaillement).

2. Types de Contraintes dans les Sols : Qui Porte la Charge ?

Dans le sol, il y a deux choses qui supportent la charge : les grains solides qui se touchent (le squelette du sol) et l'eau qui remplit les espaces entre les grains (l'eau interstitielle). Cela nous amène à distinguer différents types de contraintes.

2.1 Contraintes Totales : La Pression Globale

Les contraintes totales (\(\sigma\)) représentent la pression totale sur une surface imaginaire à l'intérieur du sol. C'est la somme de toutes les forces qui s'exercent sur cette surface, qu'elles soient transmises par les grains solides ou par l'eau dans les pores. Elles sont causées par le poids du sol, le poids de l'eau et les surcharges appliquées.

2.2 Pression de l'Eau Interstitielle (Pression Neutre) : La Pression de l'Eau dans les Pores

L'eau qui se trouve dans les petits espaces (les pores) entre les grains de sol exerce une pression (\(u\)), appelée pression de l'eau interstitielle ou pression neutre. Cette pression agit dans toutes les directions et ne contribue pas à la résistance au cisaillement du sol.

2.3 Contraintes Effectives : La Pression entre les Grains Solides

Les contraintes effectives (\(\sigma'\)) sont les plus importantes en géotechnique ! Elles représentent la pression qui est réellement transmise par le squelette solide du sol. C'est la contrainte effective qui contrôle la déformation et la résistance au cisaillement du sol. Le principe des contraintes effectives, formulé par Terzaghi, est fondamental en géotechnique :

\[\sigma = \sigma' + u\]

Où :
\(\sigma\) est la contrainte totale.
\(\sigma'\) est la contrainte effective.
\(u\) est la pression de l'eau interstitielle.

Pour mieux comprendre, prenons l'exemple de la contrainte verticale causée par le poids du sol lui-même, à une profondeur \(z\), dans un sol complètement rempli d'eau (saturé) avec la nappe phréatique en surface :

\[\begin{aligned} \text{Contrainte totale verticale } (\sigma_v) &= \gamma_{\text{sat}} \times z \\ \text{Pression de l'eau interstitielle } (u) &= \gamma_w \times z \\ \text{Contrainte effective verticale } (\sigma'_v) &= \sigma_v - u \\ \sigma'_v &= (\gamma_{\text{sat}} \times z) - (\gamma_w \times z) \\ \sigma'_v &= (\gamma_{\text{sat}} - \gamma_w) \times z \\ \sigma'_v &= \gamma' \times z \end{aligned}\]

Où \(\gamma'\) est le poids volumique déjaugé du sol (le poids du sol moins la poussée de l'eau).

Ce calcul montre que la contrainte effective est la contrainte totale moins la pression de l'eau. C'est comme si l'eau "soulageait" un peu les grains solides.

3. Contraintes In-Situ : Les Pressions Naturelles du Sol

Les contraintes in-situ sont celles qui existent dans le sol à un endroit donné avant qu'on ne vienne y toucher (avant de construire, creuser, etc.). Elles sont principalement dues au poids des couches de sol et de l'eau au-dessus.

3.1 Contrainte Verticale In-Situ : Le Poids de la Colonne de Sol

La contrainte verticale totale in-situ (\(\sigma_{v0}\)) à une profondeur \(z\) est simplement le poids de tout ce qui se trouve directement au-dessus de ce point, divisé par la surface. Si le sol est fait de différentes couches ou si la nappe phréatique n'est pas en surface, il faut additionner le poids de chaque couche.

\[\sigma_{v0} = \int_0^z \gamma(z') dz'\]

(Cette formule avec le signe \(\int\) signifie qu'il faut additionner les poids de toutes les petites épaisseurs de sol de la surface jusqu'à la profondeur \(z\), en tenant compte de leur poids volumique \(\gamma\) qui peut changer avec la profondeur \(z'\)).

Si le sol est simple (homogène) et qu'il y a une nappe d'eau à une profondeur \(z_w\), le calcul devient plus simple :

  • Au-dessus de la nappe (\(z \le z_w\)), le sol est humide : \(\sigma_{v0} = \gamma_{\text{humide}} \times z\)
  • En dessous de la nappe (\(z > z_w\)), le sol est saturé : \(\sigma_{v0} = (\gamma_{\text{humide}} \times z_w) + (\gamma_{\text{sat}} \times (z - z_w))\)

La pression de l'eau interstitielle in-situ (\(u_0\)) est nulle au-dessus de la nappe et augmente linéairement en dessous : \(u_0 = \gamma_w \times (z - z_w)\) pour \(z > z_w\).

La contrainte verticale effective in-situ est alors \(\sigma'_{v0} = \sigma_{v0} - u_0\).

3.2 Contrainte Horizontale In-Situ : La Pression sur les Côtés

Le sol n'est pas seulement appuyé par le haut, il y a aussi une pression sur les côtés (contrainte horizontale, \(\sigma_{h0}\)). Cette pression horizontale n'est généralement pas égale à la pression verticale. Elle dépend de comment le sol a été mis en place au cours des millions d'années (son histoire géologique : s'il a été compacté, si des couches ont été enlevées par l'érosion, s'il y a eu des tremblements de terre...).

On utilise un coefficient appelé coefficient de pression des terres au repos (\(K_0\)) pour relier la contrainte horizontale effective à la contrainte verticale effective :

\[K_0 = \frac{\sigma'_{h0}}{\sigma'_{v0}}\]

* Pour les sols qui n'ont jamais été soumis à une pression verticale plus forte que celle qu'ils supportent actuellement (sols normalement consolidés), \(K_0\) est généralement inférieur à \(1\). Une formule simple pour l'estimer est \(K_0 \approx 1 - \sin(\phi')\), où \(\phi'\) est un angle qui caractérise le frottement entre les grains du sol. * Pour les sols qui ont été compactés ou qui ont eu des couches de sol enlevées au-dessus d'eux par le passé (sols surconsolidés), \(K_0\) est plus élevé, parfois supérieur à \(1\).

\(\sigma_{v0}\) \(\sigma_{h0}\) \(\sigma_{h0}\) z Nappe Contraintes In-Situ

Schéma illustrant les contraintes verticales (\(\sigma_{v0}\)) et horizontales (\(\sigma_{h0}\)) in-situ à une profondeur \(z\).

4. Mesure des Contraintes In-Situ : Tester le Sol sur Place

Mesurer les contraintes exactement comme elles sont dans le sol sans les perturber est très difficile car l'insertion d'un instrument peut changer la pression locale. Les méthodes de mesure in-situ (sur place) essaient de minimiser cette perturbation ou d'estimer les contraintes à partir d'autres mesures liées au comportement du sol sous contrainte.

4.1 Méthodes Indirectes basées sur les Essais In-Situ : Estimer à Partir d'Autres Mesures

Certains essais géotechniques que l'on fait directement dans le sol permettent d'obtenir des informations qui sont liées aux contraintes in-situ :

  • Essai Pressiométrique Ménard (PMT) : On descend une sonde dans un trou foré. La sonde est un cylindre qu'on gonfle dans le sol. On mesure la pression qu'il faut pour le gonfler d'une certaine quantité. Cette pression est liée aux contraintes horizontales présentes dans le sol et à sa rigidité.
  • Essai de Pénétation Statique au Cône (CPT) : On enfonce un cône métallique dans le sol à vitesse constante. On mesure la résistance que le sol oppose à la pointe du cône et le frottement sur les côtés de la tige. Ces résistances sont influencées par les contraintes in-situ et la densité du sol.
  • Essai Dilatométrique Marchetti (DMT) : On enfonce une lame plate avec une membrane flexible sur un côté. On mesure la pression qu'il faut pour déformer cette membrane dans le sol à différentes profondeurs. Cet essai est particulièrement utile pour estimer le coefficient \(K_0\) (le rapport entre contrainte horizontale et verticale effective).
Pressiomètre CPT DMT

Schémas simplifiés de quelques essais géotechniques in-situ utilisés pour estimer les contraintes.

4.2 Cellules de Pression de Sol : Des Capteurs Enterrés

Ce sont des instruments plats et minces, équipés d'un capteur, que l'on peut installer directement dans le sol au moment de la construction ou dans des forages. Ils mesurent la pression qui s'exerce sur leur surface. Pour qu'ils donnent une mesure fiable, il faut qu'ils soient installés très soigneusement pour ne pas créer de vide ou de zone perturbée autour d'eux. On les utilise souvent pour suivre l'évolution des contraintes dans le temps, par exemple pendant la construction d'un remblai, d'un mur de soutènement ou d'un tunnel.

Signal Pression Cellule de Pression de Sol

Schéma simplifié d'une cellule de pression de sol installée pour mesurer la contrainte.

5. Mesure des Contraintes en Laboratoire : Tester sur des Échantillons

En plus des tests sur place, on prélève des échantillons de sol (avec soin pour ne pas trop les perturber) que l'on ramène au laboratoire pour faire des essais plus précis dans des conditions contrôlées. Ces tests permettent de comprendre comment le sol se déforme et résiste sous différentes contraintes et conditions de drainage.

5.1 Essai Œdométrique : Mesurer le Tassement sous Charge Verticale

Dans cet essai, un échantillon de sol est placé dans un anneau rigide (qui l'empêche de s'étaler sur les côtés) et on applique des charges verticales croissantes par paliers. On mesure de combien l'échantillon se tasse à chaque palier de charge.

\(\sigma'_v\) \(\Delta h\) Essai Œdométrique

Schéma simplifié de l'essai œdométrique pour mesurer la compressibilité du sol.

Cet essai permet d'obtenir la courbe de compressibilité (tassement en fonction de la contrainte effective verticale) et surtout d'estimer la contrainte de préconsolidation. C'est la contrainte verticale la plus élevée que le sol a subie dans son histoire géologique. La connaître est essentiel pour prédire les tassements futurs sous de nouvelles charges.

\[m_v = \frac{\Delta \epsilon}{\Delta \sigma'}\]

Où \(m_v\) est le coefficient de compressibilité volumique, lié à la déformation verticale (\(\Delta \epsilon\)) pour un changement de contrainte effective (\(\Delta \sigma'\)).

5.2 Essai Triaxial : Mesurer la Résistance au Cisaillement sous Différentes Pressions

L'essai triaxial est l'un des tests les plus complets pour comprendre comment le sol résiste au cisaillement (glissement) sous différentes contraintes. Un échantillon cylindrique est placé dans une chambre étanche remplie d'eau ou de fluide, ce qui permet d'appliquer une pression latérale contrôlée (contrainte de confinement, \(\sigma_3\)). Ensuite, on augmente la contrainte verticale (\(\sigma_1\)) jusqu'à ce que l'échantillon casse par cisaillement.

\(\sigma_1\) \(\sigma_3\) \(\sigma_3\) Essai Triaxial

Schéma simplifié de l'essai triaxial.

En faisant plusieurs essais avec différentes pressions latérales (\(\sigma_3\)), on peut déterminer les paramètres de résistance au cisaillement du sol (la cohésion \(c\) et l'angle de frottement \(\phi\)) en termes de contraintes effectives (\(c'\), \(\phi'\)) ou totales (\(c_u\), \(\phi_u\)), selon si l'eau a pu sortir de l'échantillon pendant l'essai (essai drainé) ou non (essai non drainé).

\[\sigma_1 - \sigma_3 = f(\sigma_3', \text{propriétés du sol})\]

La différence entre \(\sigma_1\) et \(\sigma_3\) à la rupture est une mesure de la résistance au cisaillement.

5.3 Essai de Cisaillement Direct : Une Manière Plus Simple de Cisailler

Cet essai est plus simple que l'essai triaxial. L'échantillon de sol est placé dans une boîte métallique divisée horizontalement en deux. On applique une contrainte normale (\(\sigma_n\)) sur le dessus, puis on pousse horizontalement une moitié de la boîte par rapport à l'autre pour "couper" l'échantillon.

\(\sigma_n\) \(\tau\) Essai de Cisaillement Direct

Schéma simplifié de l'essai de cisaillement direct.

On mesure la contrainte de cisaillement (\(\tau\)) au moment de la rupture pour différentes contraintes normales (\(\sigma_n\)). Les résultats permettent de tracer la courbe de Mohr-Coulomb et de déterminer la cohésion (\(c\)) et l'angle de frottement (\(\phi\)) du sol.

\[\tau_f = c + \sigma_n \tan(\phi)\]

Où \(\tau_f\) est la contrainte de cisaillement à la rupture.

6. Importance de la Mesure des Contraintes de Sols : Pourquoi C'est Indispensable

Bien mesurer ou estimer les contraintes dans le sol est absolument vital en géotechnique pour plusieurs raisons :

  • Comprendre le comportement du sol : La résistance et la rigidité d'un sol changent énormément en fonction des contraintes effectives qu'il subit. Sans connaître les contraintes, on ne peut pas prédire comment le sol va se comporter.
  • Analyse de la stabilité : Pour savoir si une pente va tenir, si un mur de soutènement ne va pas basculer, ou si une fondation ne va pas s'enfoncer trop, il faut comparer les contraintes appliquées par la structure aux contraintes que le sol peut supporter. Ces dernières dépendent des contraintes in-situ.
  • Prédiction des tassements : Les bâtiments s'enfoncent un peu dans le sol après leur construction (tassement). La quantité de tassement dépend de la compressibilité du sol, qui est mesurée sous différentes contraintes en laboratoire (essai œdométrique).
  • Conception des ouvrages géotechniques : Toutes les fondations, les murs, les tunnels, etc., sont dimensionnés en tenant compte des contraintes qui sont déjà dans le sol et de celles que l'ouvrage va ajouter.
  • Surveillance : Dans certains projets importants, on installe des capteurs (comme les cellules de pression) pour vérifier que les contraintes dans le sol évoluent comme prévu pendant et après la construction.

7. Conclusion : Un Pilier de la Géotechnique

La mesure et l'estimation des contraintes dans les sols, qu'elles soient naturelles (in-situ) ou induites par les constructions, constituent une étape fondamentale de toute étude géotechnique. En faisant la distinction entre les contraintes totales (la pression globale), la pression de l'eau dans les pores, et les contraintes effectives (la pression entre les grains solides), les ingénieurs peuvent analyser et prédire le comportement complexe des sols. Grâce à une variété d'essais, qu'ils soient réalisés directement sur le terrain (in-situ) ou en laboratoire sur des échantillons, il devient possible de quantifier ces contraintes et les propriétés qui en dépendent. C'est cette connaissance qui permet de concevoir et de construire des ouvrages géotechniques sûrs, stables et durables, capables de supporter les charges de nos infrastructures.

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Exercices et corrigés de géotechnique:

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