Comprendre l’Effort Tranchant et le Moment
En résistance des matériaux, l’effort tranchant et le moment fléchissant sont deux efforts internes fondamentaux qui caractérisent la réponse d’une poutre ou d’un élément structurel soumis à des charges transversales. L’effort tranchant (souvent noté \(T\) ou \(V\)) est la force interne agissant parallèlement à une section transversale de la pièce, c’est-à-dire la composante de la résultante interne qui tend à faire glisser ou cisailler la section. Le moment fléchissant (noté \(M_f\) ou simplement \(M\)) est le moment interne (couple) qui tend à faire fléchir la poutre autour d’un axe transversal ; il correspond à la somme des moments de toutes les forces (externes) situées d’un même côté de la section considérée. En termes simples, le moment fléchissant mesure l’intensité de la flexion en un point de la poutre, tandis que l’effort tranchant mesure l’intensité de la cisaillement interne en ce point.
Ces deux grandeurs jouent un rôle central en résistance des matériaux et en génie civil, car elles permettent de déterminer les contraintes internes dans les structures. Le moment fléchissant est directement relié aux contraintes normales de traction/compression dans la poutre (loi de flexion \(σ = \frac{M \cdot y}{I}\) pour une section de moment d’inertie \(I\)), tandis que l’effort tranchant est lié aux contraintes de cisaillement (de l’ordre de \(τ = \frac{V \cdot S}{I \cdot b}\) dans une poutre de largeur \(b\), formule de Jourawski). Comprendre et savoir calculer ces efforts est indispensable pour prévenir la défaillance des structures, car une poutre rompra soit par flexion excessive (si le moment dépasse la résistance en flexion) soit par cisaillement (si l’effort tranchant dépasse la résistance au cisaillement du matériau).
Importance en génie civil :
Dans la conception des ponts, des bâtiments ou de tout élément de charpente, l’ingénieur doit déterminer les efforts tranchants et moments fléchissants maximaux afin de dimensionner correctement les sections (choix des matériaux, sections d’acier, etc.). Par exemple, pour une poutre en béton armé, le moment fléchissant maximal détermine la quantité d’armature longitudinale nécessaire, tandis que l’effort tranchant maximal détermine le besoin en étriers (armatures transversales) pour éviter le risque de rupture par cisaillement.
La construction des diagrammes d’effort tranchant et de moment fléchissant le long d’une poutre est ainsi une pratique courante chez les ingénieurs en structure et fait partie intégrante des méthodes de calcul. Ces diagrammes fournissent une représentation graphique claire de la façon dont les charges sont supportées par la structure et où se situent les sollicitations extrêmes. En somme, l’effort tranchant et le moment fléchissant sont deux notions clés dont la maîtrise est indispensable pour tout ingénieur en génie civil afin de concevoir des structures sûres et optimisées.
Exercice et corrigé: Calcul l’effort tranchant et le moment
1. Effort Tranchant
1.1. Définition et Interprétation Physique
L’effort tranchant \(T\) (appelé aussi force tranchante ou force de cisaillement, en anglais shear force) en un point d’une poutre est la composante verticale de l’effort interne dans la section transversale à ce point. Plus précisément, si l’on « coupe » virtuellement la poutre à la position considérée, l’effort tranchant est la force intérieure qui s’exerce parallèlement à la section coupée (typiquement verticale dans le cas d’une poutre horizontale chargée verticalement). Cette force interne traduit la tendance des sections de part et d’autre de la coupe à glisser l’une par rapport à l’autre. Un effort tranchant important signifie que la poutre est soumise à un fort cisaillement à cet endroit, ce qui peut provoquer une déformation en glissement des fibres du matériau (imaginons deux couches de la poutre qui tendent à se décaler l’une par rapport à l’autre) ou même une rupture en cisaillement si la résistance du matériau est dépassée.

Interprétation physique :
Considérons une portion de poutre supportant des charges verticales (poids, charges d’exploitation, etc.). Les appuis de la poutre exercent des réactions dirigées vers le haut, tandis que les charges appliquées poussent vers le bas. À l’intérieur de la poutre, pour assurer l’équilibre, se développent des efforts tranchants. Intuitivement, l’effort tranchant en une section correspond à la somme algébrique des forces verticales extérieures situées d’un côté de cette section (par exemple du côté gauche) : c’est cette résultante qui doit être équilibrée par la section considérée. Si la somme des forces à gauche de la coupe vaut \(X\) kN dirigée vers le haut, alors l’effort tranchant dans la section vaut \(T = X\) kN dirigé vers le bas (selon l’action et réaction) pour équilibrer. Cet effort interne tend ainsi à couper la poutre à l’endroit de la section, d’où le terme tranchant.
Exercice – Corrigé: Calcul de l’effort tranchant dans une poutre

1.2. Équations et Relations Fondamentales de l’Effort Tranchant
L’effort tranchant n’est pas indépendant : il est relié à la distribution des charges sur la poutre et au moment fléchissant par des relations fondamentales. Considérons une poutre soumise à une charge répartie \(q(x)\) (en N/m) le long de son axe \(x\). En tout point, les équations d’équilibre local (obtenues en considérant un élément infinitésimal de poutre) donnent les relations différentielles suivantes :
Relation charge-effort tranchant :
\[ \frac{dT(x)}{dx} = -\,q(x). \]
Cette équation signifie que la pente du diagramme d’effort tranchant est donnée par la charge répartie (avec le signe négatif indiquant que si \(q\) est dirigée vers le bas, \(T\) décroît vers la droite). En l’absence de charge répartie (zone non chargée de la poutre), l’effort tranchant est constant. En présence d’une charge uniformément répartie \(q\) constante, l’effort tranchant varie linéairement (d’où un diagramme en pente). Plus généralement, l’aire sous la courbe de charge entre deux sections correspond à la variation de l’effort tranchant entre ces sections. Par exemple, si une charge ponctuelle \(P\) est appliquée à une certaine position, l’effort tranchant subira une discontinuité (saut) égal à \(-P\) à cette abscisse, reflétant l’ajout de cette force concentrée.
Relation effort tranchant-moment fléchissant :
\[ \frac{dM(x)}{dx} = T(x) \] (selon une convention de signe donnée).
Cette seconde relation indique que la variation du moment fléchissant par rapport à \(x\) correspond à l’effort tranchant. En effet, sur un petit élément de poutre, l’effort tranchant \(T\) génère une variation de moment \(dM \approx T , dx\). Dans la convention classique « efforts à droite » (forces internes positive appliquées à droite de la coupe), on a \(T = -,dM/dx\), le signe « – » traduisant la convention d’orientation. Dans tous les cas, le diagramme d’effort tranchant est la dérivée (à un signe près) du diagramme de moment fléchissant. Inversement, on peut obtenir le moment fléchissant en intégrant l’effort tranchant : l’aire sous le diagramme d’effort tranchant entre deux points donne la variation du moment entre ces points . En particulier, l’aire sous la courbe de \(T(x)\) depuis l’appui gauche jusqu’à une abscisse \(x\) donne la valeur du moment \(M(x)\) (relative à \(M=0\) à l’appui)
En résumé, l’effort tranchant est directement lié à la distribution des charges (sa dérivée spatiale reproduit la charge) et pilote l’évolution du moment fléchissant (sa primitive donne le moment). Ces relations fondamentales servent de base au tracé des diagrammes internes. Elles seront démontrées de façon détaillée en section 4.
1.3. Cas d’Application Typiques en Génie Civil
En pratique, l’effort tranchant maximal dans une poutre se produit souvent près des appuis, là où les réactions d’appui sont appliquées. Voici quelques cas courants illustrant le calcul de \(T\) :
Poutre simplement appuyée avec charge ponctuelle centrée :
Considérons une poutre de longueur \(L\) posée sur deux appuis simples, avec une charge ponctuelle \(P\) appliquée au milieu. Les réactions aux appuis valent chacune \(\frac{P}{2}\) (pour l’équilibre vertical). L’effort tranchant est donc de \(+P/2\) (vers le haut) partout à gauche de la charge, et de \(-P/2\) (vers le bas) à droite de la charge – en convention où un effort positif correspond à une résultante dirigée vers le haut à gauche de la section. Il y a une discontinuité de \(P\) dans le diagramme \(T(x)\) à l’endroit de la charge (le cisaillement passe de \(+P/2\) à \(-P/2\)), traduisant le changement de signe mentionné au milieu de la poutre.

Poutre simplement appuyée avec charge uniformément répartie :
Si la poutre supporte une charge répartie uniforme \(q\) (en kN/m) sur toute sa portée, les réactions aux appuis valent chacune \(\frac{qL}{2}\). L’effort tranchant à l’extrémité gauche démarre donc à \(T(0) = +qL/2\) (réaction gauche dirigée vers le haut). Ensuite, \(T(x)\) décroît linéairement avec la pente \(-q\) (car \(\frac{dT}{dx} = -q\)) tout le long de la poutre. À mi-portée (\(x = L/2\)), \(T\) atteint 0 (car la moitié de la charge \(qL\) est soutenue par chaque appui). Puis \(T\) continue de diminuer linéairement jusqu’à \(T(L) = -\,qL/2\) à l’appui droit. Le diagramme d’effort tranchant est donc une ligne droite descendant de \(+qL/2\) à \(-qL/2\). En tout point, la valeur de \(T(x)\) correspond à la résultante des charges entre l’origine et \(x\) moins la réaction gauche.

Poutre en porte-à-faux (encastrée d’un côté, libre de l’autre) :
Prenons une console de longueur \(L\) encastrée au mur à gauche et libre à droite, supportant une charge ponctuelle \(P\) à son extrémité libre. L’appui encastré doit reprendre l’équilibre de la console, donc il y a une réaction de cisaillement \(P\) dirigée vers le haut à l’encastrement. L’effort tranchant est constant le long de la poutre : \(T(x) = P\) (positif vers le haut) \emph{partout} entre \(x=0\) (encastrement) et \(x=L\) (extrémité libre, juste avant la charge). À \(x=L\), l’effort tranchant chute à zéro en passant la charge ponctuelle de \(P\) (la charge externe équilibre l’effort interne juste à gauche). Le diagramme est donc un rectangle constant de hauteur \(P\) sur \([0,L]\). Si la console supporte plutôt une charge répartie \(q\) sur toute sa longueur, l’effort tranchant démarre à \(T(0)=qL\) à l’encastrement (résultante de la charge) et diminue linéairement jusqu’à \(T(L)=0\) à l’extrémité libre.

Remarque: En génie civil, l’effort tranchant dimensionne souvent les appuis et l’âme des poutres. Par exemple, dans une poutre métallique en forme de I, un fort effort tranchant peut provoquer un flambement de l’âme (levoile vertical) ; on ajoute alors des raidisseurs. Dans une poutre en béton armé, un effort tranchant important nécessite des armatures transversales (étriers) supplémentaires pour éviter la rupture en diagonale. Ces exemples concrets montrent comment le calcul de \(T\) en chaque point de la poutre guide le renforcement local des structures.
2. Moment Fléchissant
2.1. Définition et Signification
Le moment fléchissant \(M\) en une section d’une poutre représente le moment interne résultant des forces de part et d’autre de cette section, qui tend à la faire fléchir. Formellement, si l’on considère toutes les forces extérieures situées d’un même côté d’une section (par exemple à gauche), le moment fléchissant en cette section est la somme algébrique de leurs moments par rapport à cette section. C’est ce moment interne qui génère, dans la section, des contraintes de flexion : les fibres situées d’un côté de l’axe neutre sont tendues, celles de l’autre côté comprimées.
Convention de signe :
Par convention en génie civil, on considère généralement le moment fléchissant positif lorsque la fibre supérieure de la poutre est comprimée (et la fibre inférieure tendue). Autrement dit, un moment positif provoque une courbure vers le bas de la poutre (forme de « sourire » ou flèche positive vers le bas). Un moment négatif correspond à une flexion inverse (fibre supérieure tendue, comme au-dessus d’un appui encastré – forme de « cambrure vers le haut »). Cette convention est importante pour lire les diagrammes de moment et placer correctement les armatures dans le béton armé (armatures en partie inférieure pour les moments positifs en travée, en partie supérieure pour les moments négatifs sur appuis encastrés).
Interprétation physique :
Le moment fléchissant en un point mesure l’intensité de la courbure que subit la poutre en ce point sous l’effet des charges. Un moment élevé signifie que la poutre est fortement sollicitée en flexion, avec une tendance marquée à se courber. Par exemple, sur une poutre simplement appuyée et chargée, le moment fléchissant est nul aux appuis (puisqu’il n’y a pas de couple transmis par un appui simple) et maximal quelque part en travée (souvent au milieu pour des charges symétriques). Ce moment maximal correspond à l’endroit où la poutre « fléchit » le plus et donc où elle risque de casser en premier si on augmentait la charge. C’est pourquoi on conçoit souvent les poutres pour résister au moment fléchissant maximal : section plus haute, ajout de matière, ou armatures supplémentaires pour reprendre ce moment.
Exercice – Corrigé: Calcul du Moment Fléchissant Maximal

2.2. Calcul du Moment Fléchissant le Long d’une Poutre
Le calcul du moment \(M(x)\) en fonction de la position \(x\) se fait classiquement par la méthode des coupures (sections) : on parcourt la poutre et on écrit l’équilibre des moments pour chaque portion. Méthodologiquement, on peut :
1. Déterminer les réactions d’appui (si la poutre est isostatique) – étape préalable nécessaire.
2. Isoler une portion de la poutre entre un appui et une section à la position \(x\).
3. Écrire l’équilibre en rotation de cette portion : la somme des moments des forces extérieures par rapport à la section doit être nulle (système à l’équilibre). On en déduit le moment interne \(M(x)\) à la section considérée.
4. Répéter pour les différentes zones de la poutre (en général, entre chaque charge ponctuelle ou changement de charge, \(M(x)\) suit une loi différente).
Par exemple, pour une poutre simplement appuyée chargée par des forces concentrées : entre l’appui gauche et la première charge, le moment \(M(x)\) est simplement
\[ M(x) = R_g \cdot x \]
(croissant linéairement, avec \(R_g\) la réaction gauche) puisque seule la réaction agit à gauche de la section. Après cette première charge, la formule de \(M(x)\) change en incorporant l’effet de la charge. On obtient ainsi le diagramme complet en assemblant les expressions par morceaux.
On peut également utiliser l’intégration de l’effort tranchant : partant de \(M(0)\) (souvent \(M(0)=0\) à l’appui simple ou \(M(0) = M_0\) s’il y a un encastrement avec moment imposé), on intègre \(T(x)\) :
\[ M(x) = M(x_0) + \int_{x_0}^{x} T(u)\,du, \]
ce qui revient, graphiquement, à faire l’aire sous le diagramme d’effort tranchant. Cette méthode est particulièrement pratique lorsqu’on connaît déjà \(T(x)\) ou pour vérifier la cohérence des deux diagrammes (l’un doit être la dérivée/intégrale de l’autre). Par exemple, sous une charge uniformément répartie continue, le diagramme de moment est une courbe quadratique (parabolique) car il est l’intégrale d’une droite (diagramme de \(T\) linéaire).
Moments fléchissants pour quelques configurations types :
- Poutre simplement appuyée, charge concentrée \(P\) au milieu :
\(M(x)\) augmente linéairement depuis l’appui gauche (0 en \(x=0\)) jusqu’au milieu. Au milieu (\(x=L/2\)), \(M = \frac{P \cdot L}{4}\), ce qui est le maximum (Ce résultat \(M_{\text{max}}=PL/4\) pour une charge centrée est bien connu et correspond au cas de flexion trois points en mécanique.}. Ensuite, le moment rediminue linéairement vers l’appui droit (retour à 0 en \(x=L\)). Le diagramme de moment a la forme d’un triangle isocèle, pointant vers le haut (positif) avec un maximum \(PL/4\) au centre.

- Poutre simplement appuyée, charge uniformément répartie \(q\) sur \([0,L]\) :
\(M(x)\) est nul en \(x=0\). Il croît de façon quadratique (parabole) en allant vers le centre. On peut écrire
\[ M(x) = \frac{q x}{2}(L – x) \]
pour \(0\le x \le L\) (équation parabolique obtenue par intégration de \(T(x)\) ou par équilibre d’une portion de longueur \(x\)). Le moment atteint son maximum à \(x=L/2\):
\[ M_{\text{max}} = \frac{qL^2}{8}. \]
Puis \(M\) redescend symétriquement jusqu’à 0 à l’autre appui. Le diagramme de moment est une courbe en forme de cloche (parabole) atteignant \(\frac{qL^2}{8}\) au milieu.

- Console (encastrée à gauche) avec charge \(P\) à l’extrémité libre :
\(M(x)\) à l’encastrement (\(x=0\)) vaut \(M(0) = -\,P L\) (négatif, car il fait fléchir la console vers le bas, fibre supérieure tendue à l’encastrement). Le moment décroit linéairement en allant vers l’extrémité libre selon
\[ M(x) = -\,P (L – x) \]
(pente donnée par \(T=P\) constant). À l’extrémité (\(x=L\)), \(M(L)=0\) puisque l’extrémité libre ne reprend pas de moment. Le diagramme de moment est une ligne droite, partant de \(-PL\) à l’appui encastré jusqu’à 0 à l’extrémité. (Pour une charge répartie \(q\), le moment encastrement vaut \(-qL^2/2\) et le diagramme est une parabole décroissante vers 0).

3. Démonstrations Mathématiques Détaillées
Dans cette section, nous prouvons les formules et relations fondamentales introduites plus haut, en nous basant sur l’équilibre d’une portion infinitésimale de poutre et sur les principes de la mécanique.
3.1. Équilibre Infinitésimal et Relations Différentielles
Considérons une poutre soumise à des charges quelconques. Isolons un élément de poutre très court, situé entre la section à l’abscisse \(x\) et la section à \(x + dx\). Cet élément, de longueur \(dx\), est soumis :
- sur sa face gauche (section en \(x\)) à un effort tranchant interne \(T(x)\) (dirigé vers le haut dans notre convention) et un moment interne \(M(x)\) (positif si sagant, fléchissant vers le bas),
- sur sa face droite (section en \(x+dx\)) à l’effort tranchant \(T(x+dx)\) et le moment \(M(x+dx)\), appliqués par la portion droite restante de la poutre sur notre élément (selon le principe d’action-réaction, ces efforts sur la face droite de l’élément sont opposés à ceux que la partie droite « voit » de la part de l’élément),
- sur sa longueur \(dx\), à la charge répartie \(q(x)\) (force \(q(x) \cdot dx\) dirigée vers le bas) éventuellement présente.
On écrit les équations d’équilibre statique pour cet élément (en négligeant les termes d’ordre \(dx^2\) très petits) :
Équilibre des forces verticales :
La somme des forces vers le haut doit être nulle. On a (en adoptant la convention signes positifs vers le haut) :
\[ T(x) – T(x+dx) + \big(q(x)\cdot dx\big) = 0. \]
En développant \(T(x+dx) \approx T(x) + \frac{dT}{dx}dx\), cette équation donne :
\[ T(x) – \Big(T(x) + \frac{dT}{dx}dx\Big) + q(x)dx = 0, \]
d’où, en simplifiant :
\[ -\frac{dT}{dx} \, dx + q(x)\, dx = 0, \]
\[ \frac{dT}{dx} = q(x). \]
En prenant soin de la convention de signes (ici \(q\) vers le bas est pris négatif dans l’équilibre vers le haut), on obtient bien la relation différentielle : :
\[ \frac{dT(x)}{dx} = -\,q(x), \]
ce qui est la forme mathématique de la relation charge-effort tranchant annoncée en section 1.2. Cela traduit que la variation de l’effort tranchant sur une petite longueur est due à la charge distribuée sur cette longueur. Si \(q=0\) (pas de charge), \(\frac{dT}{dx}=0\) donc \(T\) reste constant ; si \(q\) a une certaine valeur, \(T\) varie proportionnellement.
Équilibre des moments :
On écrit la somme des moments par rapport à la section gauche (point \(x\)) de notre élément, positives dans le sens de \(M(x)\) (sens conventionnel positif de flexion) :
- Le moment \(M(x)\) appliqué à gauche tend à faire tourner l’élément (considéré isolément) dans le sens positif (c’est une action de la partie gauche sur l’élément).
- Le moment \(M(x+dx)\) appliqué à la face droite agit en sens opposé sur l’élément (puisqu’il provient de la partie droite); pour l’équilibre, il doit presque compenser \(M(x)\).
- L’effort tranchant \(T(x)\) appliqué à gauche, sur le bras de levier \(dx\), crée un moment supplémentaire sur l’élément de valeur \(T(x)\cdot dx\).
- La charge répartie \(q(x)\,dx\) au milieu de l’élément crée un petit moment \(q(x)\,dx \cdot \frac{dx}{2}\) (force fois bras \(\approx dx/2\)). Ce terme est d’ordre \(dx^2\) et sera négligé car très petit devant les autres.
En équilibrant les moments (somme = 0) :
\[ M(x) – \Big(M(x+dx)\Big) + T(x)\cdot dx \;=\;0, \]
(en notant que \(M(x+dx)\) agit dans l’autre sens d’où le signe \(-\)). Remanié :
\[ M(x) – M(x+dx) + T(x)dx = 0. \]
Soit
\[ M(x+dx) – M(x) = T(x)\,dx. \]
En divisant par \(dx\) et passant à la limite \(dx \to 0\) :
\[ \frac{dM(x)}{dx} = T(x). \]
Nous retrouvons la relation \(\frac{dM}{dx} = T\) (positive dans cette convention). Si l’on adopte la convention symétrique efforts appliqués à droite de la coupe (fréquente en France), cette équation devient \(\frac{dM}{dx} = -T\), mais l’essentiel est qu’en valeur absolue, la dérivée du moment donne l’effort tranchant.
Ces deux équations différentielles (\(\frac{dT}{dx} = -q\) et \(\frac{dM}{dx} = T\)) constituent les relations essentielles d’équilibre interne pour une poutre en flexion. Leur intégration donne accès aux expressions de \(T(x)\) et \(M(x)\) le long de la poutre, comme nous l’avons fait dans les exemples précédents. Par ailleurs, ces relations impliquent des propriétés importantes pour les diagrammes :
- \(q(x)\) étant généralement une fonction continue par morceaux, \(T(x)\) est une fonction à pente constante par morceaux (donc \(T(x)\) est linéaire là où \(q\) est constant, affine là où \(q\) est linéaire, etc.). Les discontinuités de \(T\) correspondent aux charges concentrées (intégration d’un Dirac).
- De même, \(T(x)\) étant en général continu par morceaux, \(M(x)\) est une fonction à pente continue par morceaux (donc quadratique là où \(T\) est linéaire, linéaire là où \(T\) est constant, etc.). D’éventuelles discontinuités de \(M\) correspondraient à des couples ponctuels appliqués (moment concentré externe).
3.2. Théorèmes et Conséquences
De ces relations, on peut tirer quelques résultats souvent utilisés en pratique :
Théorème de l’aire du diagramme de \(T\) :
L’intégrale de l’effort tranchant entre deux sections \(x=a\) et \(x=b\) équivaut à la variation du moment fléchissant :
\[ M(b) – M(a) = \int_a^b T(x)\,dx. \]
Graphiquement, cela signifie que l’aire sous le diagramme de l’effort tranchant entre \(a\) et \(b\) est égale à la différence des ordonnées du diagramme de moment entre \(a\) et \(b\). En particulier, si l’on part d’un appui où \(M=0\), l’aire sous \(T(x)\) jusqu’à un point \(x\) donne directement \(M(x)\).
Extremum du moment fléchissant :
En un point où le diagramme de moment présente un extremum (maximum ou minimum local), la pente \(\frac{dM}{dx}\) est nulle et donc l’effort tranchant est nul. Autrement dit, les points où \(T(x) = 0\) correspondent aux maxima ou minima du moment \(M(x)\). Par exemple, pour une charge répartie symétrique, \(T\) s’annule au milieu de la poutre, ce qui est bien là que \(M\) est maximum (cas d’une poutre simplement appuyée avec \(q\), \(M_{\max}\) au milieu où \(T=0\)). Ce critère aide à localiser rapidement le moment fléchissant le plus élevé dans une structure.
Lien avec la courbure (théorie d’Euler-Bernoulli) :
Bien que ceci sorte du cadre strict des efforts internes, rappelons que le moment fléchissant est relié à la courbure de la poutre par \(M(x) = E\,I \cdot \kappa(x)\) (loi de Bernoulli-Navier), où \(\kappa = 1/\rho\) est la courbure (inverse du rayon de courbure). Ainsi, un moment plus grand induit une courbure plus grande (flèche plus prononcée). Les zones de moment nul sont des points d’inflexion (changement de courbure).
Principe de superposition :
Pour des problèmes linéaires (élasticité linéaire, petites déformations), les diagrammes d’effort tranchant et de moment résultant de plusieurs charges sont la somme des diagrammes produits par chaque charge séparément. Ce principe de superposition est couramment utilisé pour combiner l’effet de différentes charges (par exemple, additionner le moment dû au poids propre et celui dû à une charge d’exploitation).
- Démonstration de cas concret (exemple) :
Prenons la poutre simplement appuyée de longueur \(L\) avec une charge uniforme \(q\). On peut déduire analytiquement \(M(x)\) en intégrant \(T(x)\). On a \(T(x) = q\Big(\frac{L}{2} – x\Big)\) (linéaire, valant \(+qL/2\) à \(x=0\) et \(-qL/2\) à \(x=L\)). En intégrant :
\[ M(x) = \int_0^x T(u)\,du \] \[ M(x) = \int_0^x q\Big(\frac{L}{2} – u\Big)du \] \[ M(x) = q\Big(\frac{L}{2}x – \frac{x^2}{2}\Big). \]
On obtient bien
\[ M(x) = \frac{q}{2}(Lx – x^2), \]
ce qui se met sous la forme
\[ M(x) = \frac{q}{2}(L – x)x, \]
conforme à la formule donnée plus haut et qui présente un maximum pour \(x=L/2\). Cette vérification analytique illustre la cohérence des relations différentielles et de la méthode des aires.
4. Représentation Graphique des Efforts Internes
L’une des compétences essentielles en résistance des matériaux est de tracer les diagrammes d’effort tranchant (\(T\)) et de moment fléchissant (\(M\)) le long d’une poutre. Ces diagrammes sont des graphiques qui représentent, en ordonnée, la valeur de \(T\) ou \(M\) en fonction de la position \(x\) (abscisse) le long de la poutre. On les trace généralement sous la figure de la poutre pour une visualisation claire. Cette représentation visuelle permet d’identifier d’un coup d’œil les zones critiques (pics de moment ou de cisaillement) et de comprendre comment la structure réagit aux charges.
Exercice – Corrigé: Tracé d’Effort Tranchant et du Moment Fléchissant
4.1. Diagramme de l’Effort Tranchant (\(T\))
Sur le diagramme d’effort tranchant, conventionnellement, on représente \(T(x)\) en kN (ou unités de force) en ordonnée, positive vers le haut (selon la convention retenue). Le long de l’axe \(x\) (longueur de la poutre), on indique les valeurs de \(T\). On noircit généralement les surfaces sous la courbe par des hachures verticales pour bien distinguer les zones positives (au-dessus de l’axe) et négatives (en dessous) – c’est une convention graphique classique.
Tracé par morceaux : Le diagramme est construit par morceaux entre les positions de charges. À chaque intervalle sans charge ponctuelle, \(T(x)\) suit une fonction simple (constante si pas de charge répartie, affine si charge uniforme, etc. d’après \(\frac{dT}{dx}=-q\)). Aux endroits où une charge ponctuelle \(P\) est appliquée, le diagramme de \(T\) aura un saut abrupt : \(T\) est discontinu de \(-P\) (il baisse si \(P\) est dirigée vers le bas). On représente ce saut par une ligne verticale brisée à la position de la charge. De même, à une extrémité libre de la poutre, l’effort tranchant doit équilibrer les forces extérieures : souvent \(T=0\) en bout libre ; à un appui simple, le cisaillement prend la valeur de la réaction d’appui.
On indique les valeurs importantes (maxima, zéros, sauts) sur le diagramme.
4.2. Diagramme du Moment Fléchissant (\(M\))
Le diagramme de moment fléchissant représente \(M(x)\) en kN·m (ou unités de moment) en ordonnée, généralement positif vers le bas pour correspondre à la convention de signe (moment positif = flèche vers le bas). Là encore, on trace le diagramme par tronçons. Entre charges ponctuelles, le moment suit une loi polynomiale simple (souvent linéaire ou quadratique). Aux appuis simples, on sait que \(M=0\). Aux encastrements, \(M\) prend la valeur du moment d’encastrement.
Caractéristiques : Contrairement à \(T(x)\), le diagramme de \(M(x)\) est généralement continu (sauf si un moment ponctuel extérieur est appliqué). En effet, les charges ponctuelles n’engendrent pas de discontinuité sur \(M\) (elles créent des ruptures de pente dans \(T\) mais l’aire intégrée reste continue). Seuls des couples extérieurs (moments imposés) provoqueraient un saut sur \(M\). Le diagramme de \(M\) présente souvent une courbe lisse, avec un maximum bien défini là où \(T=0\). On note que la pente du diagramme de \(M\) en un point est égale à la valeur de \(T\) à ce point (voir section 3.1), ainsi \(M(x)\) a une pente nulle à son extrémum (où \(T=0\)).
4.3. Méthodologie de Tracé et Conseils
Pour tracer les diagrammes d’efforts internes d’une poutre, on peut suivre la démarche systématique suivante :
1. Diagramme d’effort tranchant (DET) :
- Déterminer les réactions aux appuis. Placer ces valeurs à \(x=0\) et \(x=L\) sur le diagramme de \(T\).
- Parcourir la poutre de gauche à droite : À chaque portion sans charge, \(T\) reste constant (ligne horizontale). S’il y a une charge répartie \(q\), \(T\) varie linéairement (tracer une pente descendante de \(q\) par unité de longueur).
- Appliquer les sauts aux charges ponctuelles : à l’emplacement de chaque force concentrée \(P\) descendante, faire chuter le diagramme de \(T\) de \(P\) (verticalement). Pour une réaction d’appui (force montante), faire monter \(T\) d’autant au début.
- Vérifier que \(T\) final retrouve bien la valeur de la réaction opposée à l’autre extrémité (souvent \(-R_d\) à \(x=L\), ce qui doit être le cas si l’équilibre global est respecté).
- Indiquer les valeurs importantes (maxima, zéros, sauts) sur le diagramme.
2. Diagramme de moment fléchissant (DMF) :
- Identifier les zones entre appuis et charges : sur chaque intervalle, écrire l’expression de \(M(x)\) soit par intégration de \(T\), soit par équilibre d’une portion (coupure).
- Tracer point par point : commencer aux appuis (\(M=0\) aux appuis simples, inconnu aux encastrements qu’on peut calculer). Puis, progressivement, dessiner la courbe en veillant à ce que la pente en chaque point corresponde à \(T(x)\) du diagramme précédent.
- Localiser les extrémums : là où \(T\) traverse zéro, marquer un extremum sur \(M\). Calculer sa valeur exacte si besoin (par exemple \(M_{\max} = qL^2/8\) ou \(PL/4\), etc.).
- Fermeture du diagramme : vérifier que \(M\) revient à la valeur attendue à l’extrémité droite (0 si appui simple, moment d’encastrement si appui encastré, etc.).
- Aires et équilibres : en cas de doute, utiliser le théorème de l’aire : l’aire sous \(T\) entre deux points doit égaler la variation de \(M\). Par exemple, l’aire totale sous \(T\) sur \([0,L]\) doit être nulle si \(M(0)=M(L)=0\) (ce qui est logique).
3. Esthétique et clarté :
- Dessiner \(T\) et \(M\) sous la poutre, l’un en dessous de l’autre, pour bien les distinguer (typiquement DET juste sous la poutre, DMF encore en dessous). On peut aussi les dessiner côte à côte pour comparaison, mais il est important d’indiquer clairement les axes et les unités.
- Hachurer les zones positives/négatives différemment, et annoter les valeurs clés (valeurs maximales, zéros, etc.) directement sur le schéma.
- Indiquer la convention (par exemple, noter avec un petit symbole si \(M\) positif est représenté vers le bas).
- Utiliser des couleurs différentes pour \(T\) et \(M\) si possible, ou des styles de lignes différents (pointillés vs trait continu) si les deux diagrammes sont superposés sur une même figure.
Enfin, l’expérience et la connaissance des formes types aident à dessiner plus rapidement : on sait par exemple qu’une charge uniforme donne un \(T\) linéaire et un \(M\) parabolique, qu’une charge en triangle donne un \(T\) quadratique et un \(M\) cubique, etc. Avec l’habitude, on peut esquisser qualitativement les formes de diagrammes avant même de calculer précisément chaque valeur.
Figure 1 : Exemple de diagrammes d’effort tranchant et de moment fléchissant pour une poutre simplement appuyée soumise à une charge centrale \(P\) (configuration de flexion en trois points). Le schéma du haut montre la poutre, avec la charge \(P\) appliquée au milieu et les réactions \(P/2\) aux appuis. Le diagramme d’effort tranchant \(T\) (en bleu) est constant par morceaux : \(+P/2\) à gauche, \(-P/2\) à droite, avec un saut de magnitude \(P\) à la charge. Le diagramme de moment fléchissant \(M\) (en rouge) est triangulaire : nul aux appuis et atteignant \(+PL/4\) au milieu. (La courbe verte en pointillé représente la déformée de la poutre, c’est-à-dire la flèche \(u_y(x)\), pour information). On a annoté les valeurs caractéristiques : \(T = P/2\) de part et d’autre, \(M_{\max}=PL/4\) au centre, \(M=0\) aux appuis, etc.

Calcul l’effort tranchant et le moment, cliquez sur le lien.
Exercices corrigés de Rdm:
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