Études de cas pratique

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Hypothèses de Navier-Bernoulli

Hypothèses de Navier-Bernoulli (Théorie des Poutres)

La théorie des poutres d'Euler-Bernoulli, qui constitue la base de la résistance des matériaux pour l'analyse des éléments fléchis, repose sur un ensemble d'hypothèses simplificatrices concernant la géométrie de la poutre, le comportement cinématique de ses sections droites et les propriétés du matériau. Parmi celles-ci, l'hypothèse cinématique dite de Navier-Bernoulli est la plus fondamentale et la plus distinctive. Elle permet de simplifier considérablement l'analyse des déformations et des contraintes dans les poutres soumises à la flexion. Ce cours détaille cette hypothèse clé, ses conséquences, son domaine de validité et sa place au sein des hypothèses globales de la théorie des poutres.

1. Contexte : La Théorie des Poutres

1.1 Objectif : Analyser la Flexion

La théorie des poutres cherche à établir un modèle mathématique permettant de prédire le comportement mécanique d'éléments structuraux longs et minces (poutres) lorsqu'ils sont soumis à des charges qui tendent à les faire fléchir. L'objectif est de pouvoir calculer les efforts internes (effort tranchant, moment fléchissant), les contraintes (normales, tangentielles) et les déformations (flèche, rotation) en tout point de la poutre.

1.2 Nécessité d'Hypothèses Simplificatrices

L'analyse rigoureuse du comportement tridimensionnel d'un solide déformable sous l'effet de charges est extrêmement complexe et relève de la théorie de l'élasticité. Pour obtenir des solutions analytiques ou des modèles de calcul pratiques pour les poutres, il est nécessaire d'introduire des hypothèses simplificatrices basées sur la géométrie particulière de ces éléments (une dimension, la longueur, est prépondérante par rapport aux deux autres).

1.3 Les Trois Piliers d'Hypothèses (Géométrie, Cinématique, Matériau)

La théorie classique des poutres d'Euler-Bernoulli repose sur trois catégories d'hypothèses :

  • Hypothèses Géométriques : Concernent la forme initiale de la poutre (droite, section constante ou peu variable, plan de symétrie...).
  • Hypothèses Cinématiques : Décrivent la manière dont les sections droites se déforment. L'hypothèse de Navier-Bernoulli en est l'élément central.
  • Hypothèses sur le Matériau : Concernent la loi de comportement du matériau (élasticité linéaire, homogénéité, isotropie).

C'est la combinaison de ces hypothèses qui permet d'établir les équations fondamentales de la théorie des poutres.

2. L'Hypothèse Cinématique de Navier-Bernoulli

2.1 Énoncé Précis de l'Hypothèse

L'hypothèse fondamentale de la théorie des poutres d'Euler-Bernoulli, attribuée à Jacob Bernoulli et développée par Claude-Louis Navier, s'énonce ainsi :

Les sections droites, initialement planes et normales à la ligne moyenne de la poutre avant déformation, restent planes et normales à la ligne moyenne déformée après déformation.

2.2 Interprétation Physique

Cette hypothèse a deux conséquences majeures sur la déformation des sections droites :

  • Les sections restent planes : Cela signifie qu'il n'y a pas de "gauchissement" de la section hors de son plan initial lors de la flexion. Tous les points d'une même section droite se déplacent de manière à rester coplanaires.
  • Les sections restent normales à la ligne moyenne déformée : Cela signifie que l'angle entre la section droite déformée et la tangente à la ligne moyenne déformée reste un angle droit (90°). Physiquement, cela revient à négliger les déformations dues au cisaillement transversal (\(\gamma_{xz}\) et \(\gamma_{xy}\)). La déformation est supposée être uniquement due à l'extension ou à la compression des fibres longitudinales.

2.3 Illustration Graphique

Le schéma suivant illustre l'hypothèse : une section initialement verticale (normale à l'axe horizontal) reste plane après déformation, mais elle pivote pour demeurer perpendiculaire à la courbe que prend la ligne moyenne fléchie.

Hypothèse de Navier-Bernoulli Avant Déformation Après Déformation Sections planes restent planes et normales à la ligne moyenne

Illustration de l'hypothèse de Navier-Bernoulli : les sections (lignes noires épaisses) restent planes et perpendiculaires à la ligne moyenne déformée (ligne pointillée grise).

3. Conséquences Cinématiques

L'hypothèse de Navier-Bernoulli a des conséquences directes sur l'expression du champ de déplacement et des déformations dans la poutre.

3.1 Champ de Déplacement Longitudinal (\(u(x,y,z)\))

Si l'on considère la flexion dans le plan (x,z) (charges verticales), le déplacement longitudinal \(u\) d'un point M de coordonnées (\(x, y, z\)) peut s'exprimer en fonction du déplacement longitudinal \(u_G(x)\) du point G correspondant sur la ligne moyenne et de la rotation \(\theta_y(x) \approx -z'(x)\) de la section droite autour de l'axe y : \[ u(x, y, z) = u_G(x) - z \cdot \theta_y(x) = u_G(x) + z \cdot \frac{dz(x)}{dx} \] où \(z(x)\) est la flèche (déplacement vertical) de la ligne moyenne. (Une expression similaire existe pour la flexion dans le plan (x,y)).

3.2 Déformation Longitudinale (\(\epsilon_{xx}\)) et Courbure

La déformation normale longitudinale \(\epsilon_{xx}\) est obtenue en dérivant le déplacement \(u\) par rapport à \(x\) : \[ \epsilon_{xx}(x, y, z) = \frac{\partial u}{\partial x} = \frac{du_G(x)}{dx} + z \cdot \frac{d^2z(x)}{dx^2} \] Le terme \(\frac{du_G(x)}{dx}\) représente la déformation axiale de la ligne moyenne (due à l'effort normal N). Le terme \(\frac{d^2z(x)}{dx^2}\) représente (au signe près et pour de petites déformations) la courbure \(\kappa \approx 1/\rho\) de la ligne moyenne déformée.

Ainsi, la déformation normale s'écrit : \[ \epsilon_{xx}(x, z) = \epsilon_{G}(x) - z \cdot \kappa_y(x) \] où \(\epsilon_{G}(x)\) est la déformation de la fibre moyenne et \(\kappa_y(x)\) est la courbure autour de l'axe y.

3.3 Variation Linéaire des Déformations Normales

L'équation précédente montre que, pour une section donnée (x fixé), la déformation normale \(\epsilon_{xx}\) varie linéairement avec la coordonnée \(z\) (distance à l'axe y passant par G). C'est une conséquence directe et majeure de l'hypothèse de conservation des sections planes.

3.4 Absence de Déformation de Cisaillement Transversal

L'hypothèse que les sections restent normales à la ligne moyenne implique que les angles de distorsion de cisaillement dans les plans contenant l'axe x sont nuls : \[ \gamma_{xz} = \frac{\partial u}{\partial z} + \frac{\partial w}{\partial x} = 0 \] \[ \gamma_{xy} = \frac{\partial u}{\partial y} + \frac{\partial v}{\partial x} = 0 \] où \(v\) et \(w\) sont les déplacements transversaux selon y et z.

Ceci signifie que la théorie d'Euler-Bernoulli néglige l'effet de l'effort tranchant sur la déformation de la poutre.

4. Conséquences sur le Calcul des Contraintes

4.1 Relation Contrainte-Déformation (Loi de Hooke)

En supposant un matériau élastique linéaire isotrope (module d'Young \(E\), coefficient de Poisson \(\nu\)), la loi de Hooke relie les contraintes aux déformations. En particulier, pour la contrainte normale longitudinale : \[ \sigma_{xx} = E \epsilon_{xx} \] (On néglige souvent les effets de Poisson dans la théorie simple des poutres).

4.2 Variation Linéaire des Contraintes Normales (\(\sigma_{xx}\))

Puisque \(\epsilon_{xx}\) varie linéairement avec \(z\), et en supposant \(E\) constant, la contrainte normale \(\sigma_{xx}\) varie également linéairement avec \(z\) sur la hauteur de la section : \[ \sigma_{xx}(x, z) = E \epsilon_{G}(x) - E z \kappa_y(x) \]

4.3 Dérivation de la Formule de Navier

En exprimant l'effort normal \(N = \int_A \sigma_{xx} dA\) et le moment fléchissant \(M_y = - \int_A \sigma_{xx} z dA\) (le signe moins dépend des conventions) en fonction de \(\epsilon_G\) et \(\kappa_y\), et en utilisant les propriétés du centre de gravité (\(\int_A z dA = 0\)) et du moment quadratique (\(I_y = \int_A z^2 dA\)), on retrouve les relations classiques :

  • \(N = E A \epsilon_G\)
  • \(M_y = E I_y \kappa_y\)

En combinant ces équations, on obtient l'expression de la contrainte normale en flexion composée : \[ \sigma_{xx}(x, z) = \frac{N(x)}{A} - \frac{M_y(x)}{I_y} z \] Cette formule, fondamentale pour le dimensionnement en flexion, découle directement de l'hypothèse de Navier-Bernoulli et de la loi de Hooke.

4.4 Contraintes de Cisaillement (\(\tau\)) : Une Apparente Contradiction ?

L'hypothèse de Navier-Bernoulli implique \(\gamma_{xz} = 0\), ce qui, avec la loi de Hooke (\(\tau_{xz} = G \gamma_{xz}\)), devrait conduire à \(\tau_{xz} = 0\). Or, nous savons que l'effort tranchant \(T\) existe et qu'il est lié aux contraintes de cisaillement (\(T = \int_A \tau_{xz} dA\)).

Cette apparente contradiction est résolue en considérant que l'hypothèse de Navier-Bernoulli est une approximation cinématique forte. Les contraintes de cisaillement \(\tau_{xz}\) ne sont pas réellement nulles, mais elles sont calculées a posteriori à partir de l'équilibre local et de la variation de la contrainte normale \(\sigma_{xx}\) (formule de Collignon-Jourawski), plutôt que directement à partir de la cinématique de Bernoulli. La théorie suppose implicitement que l'énergie de déformation due au cisaillement est négligeable devant celle due à la flexion.

5. Domaine de Validité et Limitations

5.1 Poutres Élancées

L'hypothèse de Navier-Bernoulli (négligeant la déformation due au cisaillement) est d'autant plus valide que la poutre est élancée, c'est-à-dire que sa longueur \(L\) est grande par rapport à ses dimensions transversales (typiquement \(L/h > 5\) à \(10\)). Pour les poutres courtes et épaisses, l'erreur commise en négligeant le cisaillement peut devenir significative.

5.2 Effet de l'Effort Tranchant (Théorie de Timoshenko)

La théorie des poutres de Timoshenko prend en compte la déformation due à l'effort tranchant. Elle n'impose plus que les sections restent normales à la ligne moyenne déformée, mais seulement qu'elles restent planes. Elle introduit un degré de liberté supplémentaire (la rotation de la section due au cisaillement) et conduit à des équations plus complexes, mais plus précises pour les poutres courtes ou pour l'analyse des vibrations à haute fréquence.

5.3 Zones Particulières (Appuis, Charges Concentrées) - Principe de Saint-Venant

L'hypothèse de Navier-Bernoulli n'est pas strictement vérifiée au voisinage immédiat des points d'application des charges concentrées ou des réactions d'appuis. La distribution réelle des contraintes y est plus complexe (concentration de contraintes).

Cependant, le principe de Saint-Venant stipule qu'à une distance suffisante de ces points (de l'ordre de la hauteur de la section), les effets locaux se dissipent et la distribution des contraintes redevient conforme à la théorie simple des poutres. La théorie de Navier-Bernoulli reste donc applicable pour le calcul global des efforts et des déformations, même si elle n'est pas exacte localement.

5.4 Matériaux Anisotropes ou Non Linéaires

L'hypothèse cinématique elle-même peut rester valable pour certains matériaux non linéaires ou anisotropes, mais la relation entre contraintes et déformations (loi de comportement) sera différente de la loi de Hooke, menant à des formules de contraintes et de déformations plus complexes (ex: calcul plastique, matériaux composites).

6. Conclusion : Portée et Importance de l'Hypothèse

L'hypothèse de Navier-Bernoulli – les sections droites planes et normales à la ligne moyenne avant déformation restent planes et normales à la ligne moyenne déformée – est le pilier central de la théorie classique des poutres d'Euler-Bernoulli.

Bien qu'il s'agisse d'une simplification de la réalité physique (elle néglige notamment la distorsion due au cisaillement), elle conduit à un modèle mathématique cohérent et relativement simple qui permet de prédire avec une précision suffisante le comportement en flexion (contraintes normales, courbure, flèche) de la grande majorité des poutres élancées utilisées en génie civil et mécanique.

Elle mène directement à la variation linéaire des déformations normales sur la section et, couplée à la loi de Hooke, à la variation linéaire des contraintes normales et à la formule de Navier. Comprendre cette hypothèse et ses conséquences est donc fondamental pour maîtriser l'analyse et le dimensionnement des éléments fléchis. Il est toutefois important de garder à l'esprit son domaine de validité et ses limitations, notamment pour les poutres courtes ou les zones de perturbations locales.

Hypothèses de Navier-Bernoulli (Théorie des Poutres)

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