Les Fondations (Construction)
Interface critique entre la structure porteuse et le sol, les fondations assurent la stabilité pérenne de tout ouvrage. Mal conçues ou mal exécutées, elles sont responsables de sinistres souvent irréversibles. Ce cours détaille les principes de la mécanique des sols appliquée, les technologies de fondations superficielles et profondes, ainsi que les méthodes de calcul et de mise en œuvre conformes aux Eurocodes, garantissant la sécurité et la durabilité des constructions.
Sommaire
- 1. Bases de Géotechnique
- 2. Fondations Superficielles
- 3. Fondations Profondes
- 4. Amélioration de Sol & Fondations Spéciales
- 5. Pathologies et Risques
- 6. Dimensionnement (Eurocodes 7 & 8)
- 7. Mise en Œuvre et Contrôles
- 8. Tableau Comparatif Technique
- 9. Innovation et Environnement
- 10. Glossaire Géotechnique
- 11. Conclusion
1. Bases de Géotechnique
1.1 Essais de Reconnaissance (In-situ & Labo)
La campagne géotechnique est le préambule obligatoire à tout projet. Elle doit être conforme à la norme NF P 94-500 et se déroule en plusieurs missions (G1 à G5). Une reconnaissance insuffisante est la première cause de litiges dans la construction.
- Pressiomètre Ménard (PMT - NF P94-110) : L'essai de référence en France. On introduit une sonde tricellulaire dans un forage préalable. La sonde est dilatée par paliers de pression. On obtient :
- La Pression Limite (\(p_{\text{l}}\)) : Caractérise la rupture du sol. Utilisée pour le calcul de la capacité portante.
Ordres de grandeur : Argile molle \( < 0.3 \text{ MPa} \), Sable dense \( > 2 \text{ MPa} \). - Le Module Pressiométrique (\(E_{\text{M}}\)) : Caractérise la déformabilité (élasticité). Utilisé pour le calcul des tassements.
- La Pression Limite (\(p_{\text{l}}\)) : Caractérise la rupture du sol. Utilisée pour le calcul de la capacité portante.
- Pénétromètre Statique (CPT - NF P94-113) : On fonce une pointe conique à vitesse constante (2 cm/s). On mesure la résistance de pointe (\(q_{\text{c}}\)) et le frottement latéral (\(f_{\text{s}}\)).
Avantage : Profil continu, rapide, économique.
Limite : Impossible dans les sols caillouteux ou très compacts (refus). - Essais de Laboratoire :
- Oedomètre : Mesure la compressibilité (indice \(C_{\text{c}}\) et indice de gonflement \(C_{\text{s}}\)) sur des échantillons intacts. Indispensable pour estimer les tassements de consolidation à long terme.
- Limites d'Atterberg : Définissent l'état de l'argile (liquide, plastique, solide) via l'indice de plasticité (\(I_{\text{p}}\)). Un \(I_{\text{p}} > 25-30\) signale un fort risque de retrait-gonflement.
1.2 Contrainte Admissible & Sécurité
La contrainte admissible (\(q_{\text{adm}}\)) est la charge maximale que l'on peut appliquer sans risque de rupture, intégrant une marge de sécurité confortable.
Dans l'approche classique (contraintes admissibles), on applique un coefficient global de sécurité \( F_{\text{s}} = 3 \).
\[ q_{\text{adm}} = \frac{q_{\text{u}}}{F_{\text{s}}} \]
Dans l'approche aux États Limites (Eurocode 7), on utilise des coefficients partiels. La résistance de calcul (\(R_{\text{d}}\)) est :
\[ R_{\text{d}} = \frac{R_{\text{k}}}{\gamma_{\text{R}}} \]
Où \(R_{\text{k}}\) est la résistance caractéristique et \(\gamma_{\text{R}}\) est le facteur partiel de résistance (ex: 1.4 pour la portance verticale).
Règle fondamentale : La contrainte appliquée par la structure doit toujours rester inférieure à la capacité du sol : \(q_{\text{structure}} < q_{\text{sol}}\).
Représentation des isobares de pression sous une semelle filante. Notez que l'influence de la charge s'étend profondément (environ 3 fois la largeur de la semelle, \(Z \approx 3B\)).
1.3 Mécanique des Tassements
Le calcul des tassements est souvent plus dimensionnant que la rupture. Le tassement total \(S_{\text{tot}}\) est la somme de trois termes :
1. Tassement immédiat (\(S_{\text{i}}\)) : Déformation élastique instantanée du sol à l'application de la charge. Prépondérant dans les sols grenus (sables).
2. Tassement de consolidation (\(S_{\text{c}}\)) : Phénomène hydro-mécanique lent (plusieurs années) spécifique aux sols fins saturés (argiles). La surcharge met l'eau interstitielle en surpression, qui s'évacue lentement, entraînant le rapprochement des grains. Calculé avec l'indice de compression \(C_{\text{c}}\).
3. Fluage (\(S_{\text{s}}\)) : Déformation visqueuse du squelette solide à contrainte constante sur le très long terme (secondaire).
1.4 Hydrogéologie : Principe des Contraintes Effectives
C'est le concept clé de la mécanique des sols (Terzaghi). Le sol est un milieu triphasique (grains solides + eau + air). La résistance au cisaillement dépend uniquement des forces transmises entre les grains solides. \[ \sigma' = \sigma - u \] Où :
- \(\sigma\) est la contrainte totale (poids des terres + eau au-dessus).
- \(u\) est la pression interstitielle (pression de l'eau dans les pores).
- \(\sigma'\) est la contrainte effective.
1.5 Capacité Portante : Formules de Terzaghi
Pour une semelle filante de largeur \(B\) ancrée à une profondeur \(D\), la charge de rupture \(q_{\text{u}}\) est donnée par la superposition de trois mécanismes :
- \( c \cdot N_{\text{c}} \) (Terme de cohésion) : La résistance intrinsèque "colle" du sol (argiles). Si sable pur, \(c=0\), ce terme disparaît.
- \( \gamma_1 \cdot D \cdot N_{\text{q}} \) (Terme de profondeur) : Le poids des terres situées au-dessus du niveau de fondation (surcharge latérale) empêche le sol sous la semelle de refouler sur les côtés. Plus on fonde profond, plus c'est stable.
- \( 0.5 \cdot \gamma_2 \cdot B \cdot N_\gamma \) (Terme de surface) : Le frottement sous la semelle. Notez que ce terme est proportionnel à \(B\) : plus la semelle est large, plus la pression de rupture augmente (effet d'échelle).
- Note : \(N_{\text{c}}, N_{\text{q}}, N_\gamma\) sont des facteurs adimensionnels dépendant uniquement de l'angle de frottement interne \(\phi\) du sol.
1.6 Classification des Sols (GTR)
Le Guide des Terrassements Routiers (GTR) est la norme française pour classer les matériaux en vue de leur réutilisation (remblai ou couche de forme).
| Classe | Description | Critères Clés | Comportement |
|---|---|---|---|
| A | Sols fins (Argiles, Limons) | >35% de fines (< 80µm) | Très sensibles à l'eau. État hydrique critique (très mou si humide, dur si sec). Gonflements/Retraits. |
| B | Sols sableux et graveleux | < 35% de fines | Insensibles à l'eau si la fraction fine est faible. Tassements rapides. Bonne portance générale. |
| C | Sols comportant des fines | Argiles à silex, éboulis | Comportement complexe, frottement important grâce aux cailloux mais matrice argileuse sensible. |
| R | Matériaux Rocheux | Calcaires, Granites | Excellente assise indéformable. Nécessite des moyens lourds (BRH, explosifs) pour le terrassement. |
2. Fondations Superficielles
Domaine d'application : Couche d'assise résistante à faible profondeur (H < 3m ou H < 5B). C'est le mode de fondation le plus économique.
2.1 Semelles Filantes et Isolées : Calcul
Semelle Filante : Elle court sous les murs porteurs. Sa largeur \(B\) est déterminée par la charge linéaire \(Q_{\text{ELU}}\) (MN/m).
\[ B \geq \frac{Q_{\text{ELU}}}{q_{\text{sol, ELU}}} \]
Semelle Isolée : Ponctuelle sous un poteau. Sa surface \(S = A \times B\) est déterminée par la charge ponctuelle \(N_{\text{ELU}}\) (MN).
Aciers : Le ferraillage est calculé par la méthode des bielles (si la semelle est rigide). Les aciers inférieurs (nappe basse) sont cruciaux car ils reprennent la traction induite par la flexion de la semelle (qui tend à s'ouvrir vers le bas).
2.2 Radiers Généraux : Types et Justification
Le radier est une dalle épaisse en béton armé couvrant toute l'emprise du bâtiment. Il fonctionne comme un plancher renversé où la charge est la réaction du sol.
Justification technique :
- Surface cumulée des semelles > 50% de l'emprise du bâtiment (chevauchement des bulbes de pression).
- Sol hétérogène : le radier rigidifie la base et "ponte" les zones molles locales.
- Nécessité d'un sous-sol étanche (cuvelage) en présence de nappe phréatique : le radier reprend la poussée d'Archimède.
2.3 Garde au Gel : Formule Climatique
Le sol gèle en surface en hiver. L'eau interstitielle se transforme en lentilles de glace qui gonflent et soulèvent les fondations. Au dégel, le sol devient boueux et s'affaisse.
La profondeur \(H\) minimale hors gel dépend de l'altitude \(A\) et de la zone climatique (carte de France, DTU 13.12).
\[ H = H_0 + \frac{A - 150}{10} \quad (\text{en cm}) \]
Exemple : Zone modérée (\(H_0=50\)) à 650m d'altitude : \(H = 50 + (650-150)/10 = 100 \text{ cm}\).
2.4 Cas des Semelles Excentrées
En limite de propriété (mitoyenneté), il est interdit de faire déborder la fondation chez le voisin. La semelle est donc arasée au nu du mur. Le poteau est excentré, créant un moment de renversement \(M = N \times e\).
Solution : La Longrine de Redressement.
C'est une poutre rigide en béton armé qui relie la semelle excentrée à la première semelle intérieure. Elle fonctionne comme un levier : le poids de la structure centrale appuie sur la longrine pour "plaquer" la semelle de rive au sol et annuler sa rotation. La semelle excentrée ne reprend alors qu'une charge verticale centrée théorique.
2.5 Dallage vs Vide Sanitaire (DTU 13.3)
- Dallage sur Terre-plein : Plancher béton coulé directement sur une forme (hérisson de gravier + sable) compactée.
Avantages : Solution la plus économique, apporte de l'inertie thermique.
Risques : Interdit sur sols argileux gonflants (RGA), sols compressibles ou hétérogènes. Sensible aux remontées d'humidité. - Vide Sanitaire : Plancher porté (poutrelles-hourdis) reposant sur les murs de soubassement, décollé du sol naturel (min 20cm, souvent 60cm).
Avantages : Indispensable sur sols à risques (désolidarisation des mouvements du sol), permet le passage et la maintenance des réseaux, ventilation efficace contre l'humidité et le radon.
3. Fondations Profondes
Utilisées quand le bon sol est trop profond (> 6-10m) pour être atteint économiquement par des puits. Transfert de charge vers le substratum profond.
3.1 Mécanisme : Pointe et Frottement
La capacité portante d'un pieu ne vient pas seulement de son appui au fond. La charge limite \(Q_{\text{u}}\) est la somme : \[ Q_{\text{u}} = Q_{\text{p}} + Q_{\text{s}} \]
- \(Q_{\text{p}}\) (Résistance de Pointe) : Mobilisée pour des déplacements significatifs (10% du diamètre). Prépondérante si ancrage dans le rocher.
- \(Q_{\text{s}}\) (Frottement Latéral) : Mobilisée très rapidement (quelques mm de tassement). Prépondérante dans les pieux flottants (dans l'argile).
3.2 Pieux Forés, Tubés et CFA
Pieu Foré Simple : Forage à la tarière ou au bucket. Risque d'éboulement dans les sols meubles sous la nappe.
Pieu Foré Tubé : On enfonce un tube acier provisoire (virole) pour tenir les terres pendant le forage. Le tube est retiré progressivement pendant le bétonnage.
Pieu à la Tarière Creuse (CFA - Continuous Flight Auger) : La méthode la plus courante en bâtiment urbain.
- Vissage de la tarière continue jusqu'à la cote finale sans extraire le sol (les spires pleines de terre maintiennent les parois).
- Injection du béton sous pression par l'âme centrale creuse de la vis tout en remontant doucement l'outil. Le béton remplace la terre.
- Fonçage de la cage d'armature dans le béton frais (limité à 12-15m de profondeur par la résistance du béton).
3.3 Pieux Battus et Micropieux
Pieux Battus : Éléments préfabriqués (Béton armé, précontraint ou profilés H acier). Enfoncés au mouton (chute libre) ou marteau hydraulique jusqu'au "refus" (moment où le pieu ne descend plus). Compactent le sol environnant mais génèrent bruit et vibrations (interdit en centre-ville dense).
Micropieux (Diam < 250mm) : Forages de petit diamètre équipés d'un tube métallique (armature) et scellés au coulis de ciment.
- Type II : Injection gravitaire simple.
- Type III : Injection globale sous pression (IGU) via des manchettes.
- Type IV : Injection répétitive et sélective (IRS) avec obturateur double. Permet d'atteindre des frottements latéraux très élevés.
3.4 Interactions : Effet de Groupe & Frottement Négatif
- Effet de Groupe : Si les pieux sont trop proches (entraxe < 3 diamètres), leurs bulbes de contraintes se chevauchent. Le sol entre les pieux est entraîné avec eux. On doit appliquer un coefficient réducteur d'efficacité (souvent entre 0.6 et 0.8) sur la portance globale du groupe.
- Frottement Négatif (Parasite) : Si le sol compressible traversé se tasse plus vite que le pieu (ex: remblai récent en surface, rabattement de nappe), il "s'accroche" au pieu et le tire vers le bas au lieu de le soutenir. C'est une surcharge qui peut être énorme. Pour la contrer, on bitume le fût du pieu ou on utilise une chemise décollante.
3.5 Calcul de Portance (NF P 94-262)
Le calcul se base sur la méthode pressiométrique (Fascicule 62 Titre V / Eurocode 7). La capacité portante limite \(R_{\text{c}}\) est :
- \(A_{\text{b}}\) : Surface de la pointe du pieu.
- \(k_{\text{p}}\) : Facteur de portance (dépend de la nature du sol et du type de mise en œuvre du pieu).
- \(p_{\text{le}}^*\) : Pression limite nette équivalente (moyenne géométrique des \(p_{\text{l}}\) sur une hauteur de 3 diamètres au-dessus et au-dessous de la pointe).
- \(P\) : Périmètre du pieu.
- \(q_{\text{si}}\) : Frottement latéral unitaire limite de la couche \(i\) (lu sur des abaques normatifs en fonction de \(p_{\text{l}}\)).
4. Amélioration de Sol & Fondations Spéciales
Parfois, il est plus économique d'améliorer les caractéristiques du sol en place plutôt que de traverser les mauvaises couches avec des fondations profondes.
4.1 Parois Moulées : Cycle d'Exécution
La paroi moulée est un ouvrage de soutènement et de fondation combiné, utilisé pour les fouilles urbaines profondes (Métros, Parkings, IGH).
Procédure :
- Construction des murettes guides en surface pour aligner l'outil.
- Excavation à la benne preneuse (sols mous) ou à l'hydrofraise (rocher), panneau par panneau (longueur 2 à 7m).
- La tranchée est maintenue pleine de boue bentonitique thixotrope. Sa densité (1.05 à 1.20) exerce une pression sur les parois qui empêche l'éboulement.
- Descente des cages d'armatures dans la boue.
- Bétonnage par tube plongeur : le béton frais (densité 2.4) prend la place de la boue qui est pompée en surface et recyclée.
4.2 Jet Grouting : Simple, Double et Triple Fluide
Technique de déstructuration et mélange du sol in situ à très haute pression (THP > 400 bars) pour créer un matériau composite "sol-ciment".
- Simple Fluide (Coulis) : Le jet de coulis déstructure le sol et sert de liant. Diamètres faibles.
- Double Fluide (Coulis + Air) : Un jet d'air coaxial entoure le jet de coulis pour focaliser l'énergie et augmenter la portée du jet (diamètres moyens).
- Triple Fluide (Eau + Air + Coulis) : L'eau sous pression (entourée d'air) déstructure le sol, tandis que le coulis est injecté séparément à basse pression pour cimenter. Permet de créer de très grosses colonnes.
4.3 Puits : Le Gros Béton
Fondation semi-profonde (3 à 6m de profondeur). On excave à la pelle mécanique ou à la tarière gros diamètre (> 80cm) jusqu'au bon sol. On remplit le trou de Gros Béton (faiblement dosé en ciment, gros granulats).
Avantage : Travaille en compression pure, pas ou peu d'armatures. Solution "rustique" et robuste, intermédiaire entre semelle et pieu.
4.4 Techniques d'Amélioration (Colonnes)
- Colonnes Ballastées : On introduit un vibreur en profondeur, puis on remplit le trou par passes successives de gravier compacté par vibration radiale. Le gravier draine le sol (accélère la consolidation des argiles) et reprend les contraintes (effet de frette). Idéal sous dallages.
- Inclusions Rigides (CMC - Controlled Modulus Columns) : Colonnes en béton ou mortier non armé vissées dans le sol. Contrairement aux pieux, elles ne sont pas connectées structurellement au bâtiment ! Un matelas de répartition (couche de gravier technique de 40-80cm) est interposé entre la tête des inclusions et le dallage/radier. Cela permet de "diffuser" les charges par effet de voûte et de réduire les tassements de 80%.
5. Pathologies et Risques
Le sol est le matériau le plus aléatoire de la construction. Les désordres de fondation sont souvent les plus coûteux à réparer.
Tassements Différentiels
Le danger n'est pas le tassement uniforme, mais la différence de tassement entre deux points. La distorsion angulaire critique est de 1/500 (fissuration cloisons) et 1/300 (dommages structurels). Cause : point dur (rocher) sous un coin du bâtiment et sol mou sous l'autre.
Retrait-Gonflement des Argiles (RGA)
Phénomène climatique. Les argiles gonflent en hiver (hydratation) et se rétractent en été (sécheresse). Ces mouvements de "respiration" du sol cassent les maisons légères. Prévention : Ancrage > 1.20m, ceinture béton armé, éloignement de la végétation.
Liquéfaction des Sols
En zone sismique, les sables lâches saturés d'eau perdent toute résistance au cisaillement sous les vibrations cycliques. La pression interstitielle égale la contrainte totale (\(\sigma' = 0\)), le sol se comporte comme un liquide lourd. Le bâtiment coule.
Agressivité Chimique (XA)
Norme NF EN 206. Les sols contenant des sulfates (gypse), de l'acidité (tourbes) ou de l'eau de mer attaquent le béton. Classes d'exposition XA1 à XA3. Implique l'usage de ciments PM (Prise Mer), ES (Eaux Sulfatées) et un E/C réduit.
6. Dimensionnement (Eurocodes 7 & 8)
Philosophie des États Limites
On ne travaille plus avec un coefficient de sécurité unique. On applique des coefficients partiels pondérateurs sur les charges (Actions \(\gamma_{\text{F}}\)) et des coefficients diviseurs sur les matériaux (Résistances \(\gamma_{\text{M}}\)).
6.1 Combinaisons d'Actions ELU/ELS
ELU Fondamental (Dimensionnement structurel et géotechnique) :
\[ 1.35 G + 1.5 Q \]
C'est la combinaison la plus défavorable pour vérifier la résistance du sol (GEO) et du béton (STR).
ELS Quasi-Permanent (Calcul des tassements longs termes) :
\[ G + 0.3 Q \quad (\text{pour des bureaux, coefficient } \psi_2) \]
Où \(G\) = Charges permanentes (Poids propre, murs) et \(Q\) = Charges d'exploitation (personnes, meubles).
6.2 Vérifications (États Limites)
- GEO (Géotechnique) : Vérification que la charge ne dépasse pas la résistance du terrain (Rupture).
- STR (Structurel) : Vérification de la résistance interne de la fondation (Ferraillage, rupture du béton).
- EQU (Équilibre) : Perte d'équilibre statique (Renversement d'un mur de soutènement).
- UPL (Uplift) : Soulèvement par pression hydrostatique (Archimède). La force de sous-pression doit être compensée par le poids propre ou des pieux tirants.
6.3 Dispositions Parasismiques (Eurocode 8)
En zone sismique, l'objectif est d'éviter la dislocation des fondations.
Obligation de Chaînage : Toutes les têtes de fondations profondes ou superficielles doivent être reliées par des longrines (tirants horizontaux) dimensionnées pour reprendre un effort de traction/compression arbitraire (fraction de la charge verticale, ex: \(F = 0.3 N \times a_{\text{g}} / g\)).
Amortissement de sol : Sur sol mou (Classe D, E), le spectre de réponse sismique est amplifié (effet de site). Le séisme ressenti par le bâtiment est plus fort que sur le rocher.
7. Mise en Œuvre et Contrôles
7.1 Réception de Fond de Fouille
C'est le "point d'arrêt" critique. Le géotechnicien et le contrôleur technique descendent dans la fouille pour valider visuellement que le sol rencontré (le "bon sol") correspond bien aux hypothèses de l'étude de sol (nature, compacité, absence d'eau).
Le béton de propreté (Béton maigre, 5cm d'épaisseur) doit être coulé immédiatement après pour protéger le sol des intempéries.
7.2 Bétonnage : Tube Plongeur et Enrobage
Pour les pieux exécutés sous l'eau ou la boue, on utilise un tube plongeur (colonne de bétonnage) qui descend jusqu'au fond du forage. Le béton est versé à l'intérieur. Comme il est plus dense, il reste au fond et pousse l'eau/boue vers le haut sans se mélanger (principe du siphon). Le pied du tube doit toujours rester noyé dans le béton frais.
Enrobage : Pour garantir la durabilité des aciers, l'enrobage minimal est augmenté : 5cm en général, 7.5cm si le béton est coulé directement contre terre sans coffrage.
7.3 Contrôles Non Destructifs (Pieux)
- Impédance (PIT) : On fixe un accéléromètre sur la tête du pieu et on frappe avec un marteau. L'onde sonore descend et remonte.
Analyse : Si l'onde revient trop vite, le pieu est plus court que prévu ou rompu. Si l'écho est faible, il y a un bulbe ou une variation de section. - Auscultation Sonique (Cross-Hole) : Réservé aux gros pieux. 3 ou 4 tubes métalliques sont noyés dans le béton. On descend un émetteur dans l'un et un récepteur dans l'autre. On mesure la vitesse de l'onde à travers le béton. Une vitesse faible ou une perte de signal indique une anomalie (inclusion de terre, béton délavé).
7.4 Rabattement de Nappe : Pointes et Puits
Pour construire un sous-sol "au sec" sous le niveau de la nappe :
Pointes Filtrantes : Pour les sols sableux perméables, à faible hauteur de rabattement. Des aiguilles aspirantes sont plantées tous les mètres autour de la fouille.
Puits Profonds : Pour les gros débits. On fore de vrais puits équipés de pompes immergées de forte puissance.
Risque majeur : Rabattre la nappe augmente la contrainte effective dans le sol alentour, ce qui peut provoquer le tassement des argiles sous les bâtiments voisins (sinistres tiers).
8. Tableau Comparatif Technique
| Type | Profondeur | Technicité | Coût Relatif | Domaine d'Application Privilégié |
|---|---|---|---|---|
| Semelle Filante | < 1.5 m | Faible | € | Maisons, petits bâtiments sur bon sol homogène. |
| Radier | < 2.0 m | Moyenne | €€ | Sols hétérogènes, sous-sols étanches (cuvelage), charges lourdes. |
| Inclusions Rigides | 3 à 20 m | Haute | €€ | Dallages industriels ou radiers sur sols compressibles (sauf tourbières). |
| Puits (Gros Béton) | 2 à 6 m | Moyenne | €€ | Gros porteurs ponctuels, solution "rustique" et robuste. |
| Pieux (CFA/Forés) | 10 à 50 m | Très Haute | €€€€ | Ouvrages d'art, tours IGH, sols très mauvais en surface. |
| Micropieux | 10 à 30 m | Spécialisée | €€€€€ | Reprises en sous-œuvre, accès très difficiles (caves), renforcements sismiques. |
9. Innovation et Environnement
- Pieux Géothermiques
- Utilisation des pieux de fondation comme échangeurs de chaleur. Des tubes PEHD caloporteurs sont fixés sur la cage d'armature avant bétonnage. Ils captent les calories du sol (température constante 12-15°C) pour chauffer (hiver) ou rafraîchir (été) le bâtiment via une pompe à chaleur. Transforme la structure en source d'énergie renouvelable.
- Bétons Bas Carbone (CEM III)
- Les fondations massives ne nécessitent généralement pas de résistance au jeune âge élevée. L'usage de ciments aux laitiers de haut fourneau (déchets de l'industrie sidérurgique) est idéal : empreinte carbone réduite de 50%, meilleure résistance chimique aux sulfates et à l'eau de mer, et faible chaleur d'hydratation (limite la fissuration thermique des gros massifs).
- Biocalcification (R&D)
- Technique expérimentale d'injection de bactéries spécifiques dans le sol. Ces bactéries précipitent du carbonate de calcium (calcite) en consommant un substrat nutritif, cimentant naturellement les grains de sable pour améliorer la portance sans ciment artificiel.
10. Glossaire Géotechnique
11. Conclusion
La réussite d'un projet de construction commence impérativement sous terre. Le choix et le dimensionnement des fondations ne sont pas qu'un simple calcul de descente de charges, mais un dialogue complexe entre la structure et le sol. À l'heure de la densification urbaine (construction sur friches industrielles, à côté de mitoyens sensibles) et de l'urgence climatique (réemploi des sols, géothermie), l'ingénieur géotechnicien joue plus que jamais un rôle pivot pour garantir la pérennité, la sécurité et l'économie des ouvrages de demain.
Laisser un commentaire