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DatePar EGC
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Cours Magistral : Méthode de Terzaghi (Approfondi)

La Méthode de Terzaghi : Analyse Complète

En mécanique des sols, la capacité portante désigne la pression maximale qu'un sol peut supporter avant de céder par cisaillement. Si la charge dépasse cette limite, la fondation s'enfonce brusquement ou bascule. Karl Terzaghi (1943) a développé la première méthode rationnelle pour calculer cette valeur limite pour les fondations superficielles. Ce cours détaille les mécanismes physiques en jeu, les équations fondamentales et les subtilités de leur application (drainage, nappe, géométrie).

1. Introduction et Hypothèses Fondamentales

1.1 Le Modèle de la Semelle Filante

Pour résoudre le problème complexe de la rupture du sol, Terzaghi a dû faire des simplifications. Il a modélisé une semelle filante, c'est-à-dire une fondation très longue par rapport à sa largeur (comme sous un mur porteur).

Pourquoi cette simplification ? Cela permet de travailler en 2 dimensions (coupe transversale). Les contraintes sont supposées identiques sur toute la longueur.

Les hypothèses clés à retenir :

  • Profondeur faible (\(D_f \le B\)) : La méthode s'applique aux fondations superficielles. Si c'est profond, le mécanisme de rupture change.
  • Base Rugueuse : Le contact béton/sol est rugueux. Cela empêche le sol de glisser horizontalement sous la semelle, créant un "coin rigide" de sol qui reste collé à la fondation.
  • Sol Rigide-Plastique : On néglige les déformations élastiques (tassements immédiats) pour se concentrer uniquement sur le point de rupture brutale (plasticité).
  • Surcharge latérale (\(q\)) : Le poids des terres situées au-dessus du niveau de la fondation est simplifié en une pression uniforme \(q = \gamma \times D_f\). On ignore sa résistance au cisaillement, ce qui est une hypothèse sécuritaire.

1.2 Analyse Physique des Modes de Rupture

Le sol ne casse pas toujours de la même manière. Son comportement dépend de sa compacité (est-il dense ou lâche ?).

Courbes Charge / Tassement
Tassement (enfoncement)
Charge (Q)
Rupture Générale (Sol Dense) Rupture Locale (Sol Lâche)
1. Rupture Générale (General Shear)

C'est le cas standard pour les sols denses (sable compact, argile raide). La surface de rupture se développe complètement jusqu'à la surface du terrain. On observe un soulèvement du sol autour de la fondation. La rupture est soudaine, avec un pic de résistance net. L'équation de Terzaghi est conçue pour ce cas.

2. Rupture Locale (Local Shear)

Pour les sols moyennement denses ou mous. La surface de rupture commence à se former mais s'arrête dans le sol ("en poire"). Le sol sous la fondation se compacte au lieu de glisser. Il n'y a pas de pic net, mais un enfoncement progressif.

3. Poinçonnement (Punching Shear)

Pour les sols très lâches. La fondation s'enfonce verticalement en cisaillant le sol sur ses bords, sans créer de zone de rupture latérale. C'est un enfoncement pur.

2. Mécanisme de Rupture (Cinématique)

Comment le sol bouge-t-il lors d'une rupture générale ? Terzaghi, en s'inspirant de la théorie de la plasticité, a identifié trois zones distinctes sous la fondation.

Fondation
I (Actif)
II (Radial)
II
III (Passif)
III
  • Zone I (Coin Actif) : C'est un triangle de sol situé juste sous la fondation. À cause du frottement (rugosité), ce sol ne peut pas s'échapper latéralement. Il reste "piégé" et descend verticalement comme s'il faisait partie de la fondation elle-même. C'est lui qui "poinçonne" les couches inférieures.
  • Zone II (Cisaillement Radial) : C'est la zone de transition. Le sol y est poussé par le Coin Actif et contraint de tourner pour s'échapper. Les lignes de glissement forment ici des spirales (spirales logarithmiques). C'est là que la résistance au cisaillement du sol est pleinement mobilisée.
  • Zone III (Coin Passif) : C'est la zone de refoulement. Le sol poussé par la Zone II remonte vers la surface. Cette zone offre une résistance dite "passive" (butée) : c'est le poids de ce sol et la surcharge au-dessus qui tentent d'empêcher le soulèvement.

3. L'Équation de Terzaghi : Analyse Détaillée

3.1 Le Principe de Superposition

La capacité portante ultime \(q_u\) est la somme de trois contributions physiques distinctes. C'est le principe de superposition : on calcule chaque résistance séparément et on les additionne.

$$ q_u = \underbrace{c \cdot N_c}_{\text{1. Terme de Cohésion}} + \underbrace{q \cdot N_q}_{\text{2. Terme de Surcharge}} + \underbrace{0.5 \cdot \gamma \cdot B \cdot N_\gamma}_{\text{3. Terme de Poids}} $$
Comprendre le Sens Physique des Termes
  • 1. Terme de Cohésion (\(c \cdot N_c\)) : C'est la résistance due à la "colle" intrinsèque du sol. Même sans poids propre, un sol cohésif (argile) résiste au cisaillement. Ce terme est prédominant pour les argiles.
  • 2. Terme de Surcharge (\(q \cdot N_q\)) : Ici, \(q = \gamma \times D_f\). C'est le poids des terres situées à côté de la fondation, au-dessus du niveau de la base. Ce poids agit comme un "couvercle" sur la Zone III, empêchant le sol de se soulever. Plus la fondation est profonde, plus ce terme est grand.
  • 3. Terme de Poids (\(0.5 \cdot \gamma \cdot B \cdot N_\gamma\)) : C'est la résistance due au poids du sol situé sous la fondation (dans les zones de rupture) qu'il faut mobiliser et soulever pour créer la rupture. Plus la fondation est large (\(B\)), plus le volume de sol à déplacer est grand, donc plus la résistance augmente. Ce terme est capital pour les sables.

3.2 Les Facteurs de Portance Adimensionnels

Les coefficients \(N_c, N_q, N_\gamma\) dépendent uniquement de l'angle de frottement interne du sol (\(\phi\)). Ils traduisent la géométrie des zones de rupture. Plus \(\phi\) est grand (sol rugueux), plus les zones de rupture sont étendues, et plus les facteurs \(N\) augmentent exponentiellement.

Angle (\(\phi\)) \(N_c\) (Cohésion) \(N_q\) (Surcharge) \(N_\gamma\) (Poids) Exemple de Sol
5.7 1.0 0.0 Argile saturée (Non drainé)
20° 17.7 7.4 5.0 Sable lâche / Limon
30° 37.2 22.5 19.7 Sable moyen
35° 57.8 41.4 42.4 Sable dense
40° 95.7 81.3 100.4 Grave compacte

3.3 Analyse Court Terme vs Long Terme (Crucial)

En géotechnique, le temps joue un rôle majeur, surtout pour les sols fins (argiles) qui retiennent l'eau.

Court Terme (Non Drainé - Condition "u")

Concerne les argiles saturées chargées rapidement. L'eau n'a pas le temps de s'évacuer. Le sol se comporte comme un matériau purement cohésif incompressible.
Paramètres : \(\phi_u = 0\) et \(c = c_u\) (cohésion non drainée).
Conséquence : Comme \(\phi=0\), alors \(N_\gamma = 0\) et \(N_q = 1\). L'équation se simplifie : \(q_u = 5.7 c_u + q\). La largeur de la fondation n'influence pas la portance !

Long Terme (Drainé - Condition "d")

Concerne les sables (perméables) ou les argiles après consolidation (années). L'eau s'est évacuée, les grains sont en contact.
Paramètres : \(c', \phi'\) (paramètres effectifs).
Conséquence : Les trois termes de l'équation sont actifs. Attention : la présence d'une nappe phréatique réduit le poids volumique efficace (\(\gamma'\)).

4. Facteurs d'Influence et Corrections

4.1 Effet de Forme (Confinement)

L'équation de base est pour une semelle "infinie". Si la fondation est carrée ou circulaire, le sol est mieux confiné (tenu sur 4 côtés au lieu de 2). Cela modifie les coefficients.

Semelle Carrée (Côté B)
$$ q_u = 1.3 c N_c + q N_q + 0.4 \gamma B N_\gamma $$ Note : Le coeff de cohésion augmente (+30%), mais le coeff de surface diminue légèrement (0.4) à cause de la géométrie 3D.
Semelle Circulaire (Diam. B)
$$ q_u = 1.3 c N_c + q N_q + 0.3 \gamma B N_\gamma $$

4.2 Correction de la Nappe Phréatique (Archimède)

L'eau exerce une poussée d'Archimède sur les grains du sol, ce qui réduit leur poids apparent et donc le frottement inter-granulaire. C'est souvent un facteur critique de rupture.

  • Cas 1 : Nappe profonde (\(D_w > D_f + B\))
    L'eau est trop loin pour influencer la zone de rupture. On utilise le poids volumique naturel \(\gamma\).
  • Cas 2 : Nappe en surface ou proche (\(D_w \le D_f\))
    Le sol sous la fondation est immergé. Il faut utiliser le poids volumique déjaugé : $$ \gamma' = \gamma_{sat} - \gamma_{eau} \approx \gamma_{sat} - 10 \text{ kN/m}^3 $$ Cela divise environ par 2 la résistance liée au poids !

4.3 Charge Excentrée (Méthode de Meyerhof)

Si la charge \(Q\) n'est pas centrée (excentricité \(e\)), la pression n'est pas uniforme et il y a un risque de basculement. Pour utiliser l'équation de Terzaghi, on utilise une astuce : on considère une semelle fictive plus petite, de largeur \(B'\), centrée sous la charge.

$$ B' = B - 2e $$

On utilise \(B'\) dans le terme de poids (\(0.5 \gamma B' N_\gamma\)) pour calculer la contrainte ultime.

5. Limites de la Méthode

Bien que très utilisée, la méthode de Terzaghi a des limites :

  • Sols Compressibles : La théorie suppose un sol rigide. Pour les sols mous, le tassement peut être inadmissible bien avant la rupture.
  • Superposition : L'addition des termes \(N_c, N_q, N_\gamma\) est une approximation mathématique (mais elle est sécuritaire, l'erreur est < 20%).
  • Facteurs Géométriques : Elle ne gère pas nativement l'inclinaison de la charge ou du terrain (il faut utiliser les méthodes généralisées comme Meyerhof ou Vesic pour ces cas).

6. Exemples de Calcul Détaillés

Exemple 1 : Semelle Carrée sur Sable (Condition Drainée)

Données

Semelle \(2m \times 2m\), ancrage \(D_f = 1.5m\).
Sol : Sable dense, \(\gamma = 18 \text{ kN/m}^3\), \(c' = 0\) (pas de cohésion), \(\phi' = 35^\circ\).
Pas de nappe phréatique.
Facteur de sécurité requis \(FS = 3\).

  1. Choix des Facteurs :
    Pour \(\phi = 35^\circ\), le tableau indique : \(N_q = 41.4\) et \(N_\gamma = 42.4\). (\(N_c\) inutile car \(c=0\)).
  2. Calcul de la Surcharge (\(q\)) :
    $$ q = \gamma \cdot D_f = 18 \times 1.5 = 27 \text{ kPa} $$
  3. Calcul de la Capacité Ultime (\(q_u\)) :
    Formule carrée : \(q_u = 1.3 c N_c + q N_q + 0.4 \gamma B N_\gamma\) $$ q_u = 0 + (27 \times 41.4) + (0.4 \times 18 \times 2 \times 42.4) $$ $$ q_u = 1117.8 + 610.56 = 1728.36 \text{ kPa} $$
  4. Calcul de la Capacité Admissible (\(q_{adm}\)) :
    $$ q_{adm} = \frac{q_u}{FS} = \frac{1728.36}{3} \approx 576 \text{ kPa} $$

Exemple 2 : Semelle Filante sur Argile Saturée (Condition Non Drainée)

Données

Semelle filante largeur \(B = 1.5m\), ancrage \(D_f = 1.0m\).
Sol : Argile molle saturée, \(\gamma_{sat} = 19 \text{ kN/m}^3\).
Paramètres : \(c_u = 40 \text{ kPa}\), \(\phi_u = 0^\circ\) (Court terme).

  1. Choix des Facteurs :
    Pour \(\phi_u = 0^\circ\), on a toujours : \(N_c = 5.7\), \(N_q = 1.0\), \(N_\gamma = 0.0\).
  2. Calcul de la Surcharge :
    $$ q = \gamma \cdot D_f = 19 \times 1.0 = 19 \text{ kPa} $$
  3. Calcul de la Capacité Ultime :
    $$ q_u = c_u N_c + q N_q + 0 $$ $$ q_u = (40 \times 5.7) + (19 \times 1.0) = 228 + 19 = 247 \text{ kPa} $$
  4. Calcul de la Capacité Admissible :
    $$ q_{adm} = \frac{247}{3} \approx 82.3 \text{ kPa} $$

Observation : Comparé au sable (576 kPa), l'argile molle (82 kPa) porte très peu. De plus, augmenter la largeur B de la fondation sur l'argile saturée n'améliore pas la portance (car le terme en B est nul), cela ne fait que répartir la charge sur une plus grande surface.

7. Pour aller plus loin : Ressources Géotechniques

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