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Mécanique des Sols : Fondamentaux en Géotechnique

Mécanique des Sols : Fondamentaux en Géotechnique

Discipline incontournable du génie civil, la mécanique des sols étudie le comportement physique et mécanique des terrains meubles. Contrairement aux matériaux manufacturés comme l'acier ou le béton, le sol est un matériau naturel, hétérogène, et complexe, composé de trois phases (solide, liquide, gaz). Ce cours propose une immersion technique complète, allant de l'identification des sols aux calculs de structures complexes comme les réseaux d'écoulement et la consolidation.

1. Introduction et Nature des Sols

1.1 Formation et Constituants

Les sols proviennent de l'altération mécanique et chimique des roches mères. La minéralogie des grains influence fortement le comportement mécanique, notamment pour les argiles composées de feuillets (Kaolinite, Illite, Montmorillonite). La Montmorillonite est particulièrement sensible à l'eau (gonflement).

1.2 Le Modèle Triphasique

Pour analyser un volume de sol, on schématise sa structure en trois phases distinctes : Solide (grains), Liquide (eau) et Gaz (air).

Pa ≈ 0
Pw (Eau)
Ps (Solide)
AIR (Gaz)
EAU (Liquide)
GRAINS (Solide)
Va
Vw
Vs
Vtotal
Vv (Vides)

Modèle triphasique : Répartition des volumes et des poids.

1.3 Paramètres d'État Fondamentaux

À partir du diagramme de phases, on définit les relations volumiques et pondérales essentielles :

  • Teneur en eau \(w\) : Rapport du poids de l'eau sur le poids des grains solides \(w = \frac{P_w}{P_s}\).
  • Indice des vides \(e\) : Rapport du volume des vides sur le volume des grains solides \(e = \frac{V_v}{V_s}\).
  • Porosité \(n\) : Rapport du volume des vides sur le volume total \(n = \frac{V_v}{V_t} = \frac{e}{1+e}\).
  • Degré de saturation \(S_r\) : Pourcentage du volume des vides occupé par l'eau \(S_r = \frac{V_w}{V_v}\).
  • Poids volumique \(\gamma\) : Poids total par unité de volume (\(kN/m^3\)).

La relation fondamentale liant ces paramètres (avec \(G_s\) la densité des grains, souvent proche de 2.65) est :

\[ S_r \cdot e = w \cdot G_s \]

2. Identification et Classification des Sols

Avant tout calcul, il faut identifier la nature du sol. Les essais d'identification permettent de classer les sols en grandes familles (sables, argiles, limons, graves).

2.1 Granulométrie et Coefficients de Forme

L'analyse granulométrique (tamisage ou sédimentométrie) produit une courbe cumulative. Pour caractériser l'étalement de la granulométrie, on utilise :

  • Coefficient d'uniformité (Hazen) : \(C_u = \frac{D_{60}}{D_{10}}\). Un sol est bien gradué si \(C_u\) est élevé.
  • Coefficient de courbure : \(C_c = \frac{(D_{30})^2}{D_{10} \cdot D_{60}}\).

2.2 Limites d'Atterberg (Pour les sols fins)

Les argiles changent d'état (solide, plastique, liquide) selon leur teneur en eau. Les limites d'Atterberg définissent ces seuils de transition :

  • Limite de liquidité \(w_L\) : Passage de l'état liquide à plastique.
  • Limite de plasticité \(w_P\) : Passage de l'état plastique à solide.
  • Indice de plasticité : Étendue du domaine plastique.
\[ I_P = w_L - w_P \]
États de consistance d'un sol fin
SOLIDE
PLASTIQUE (Pâte à modeler)
LIQUIDE
wP
wL
IP (Indice de Plasticité)

Domaines de consistance : Le sol passe d'un comportement cassant à un comportement liquide.

2.3 Classification GTR et USCS

En France, la classification GTR (Guide des Terrassements Routiers) est standard pour les remblais (classes A, B, C, D). Au niveau international, la classification USCS (Unified Soil Classification System) utilise des symboles doubles (ex: SW = Sable bien gradué, CH = Argile haute plasticité).

3. Compactage des Sols (Essai Proctor)

Le compactage vise à augmenter la densité du sol en éliminant l'air interstitiel, améliorant ainsi sa capacité portante et réduisant les tassements futurs. C'est une étape clé en construction routière et remblais.

3.1 L'Essai Proctor

Il détermine la teneur en eau optimale (\(w_{OPN}\)) pour laquelle la densité sèche du sol est maximale (\(\gamma_{d,max}\)) pour une énergie de compactage donnée.

  • Proctor Normal : Pour remblais classiques et barrages en terre.
  • Proctor Modifié : Énergie plus élevée, pour les fondations de chaussées et pistes d'aéroports.
\[ \gamma_d = \frac{\gamma}{1+w} \]

La courbe Proctor (en cloche) relie \(\gamma_d\) à la teneur en eau \(w\). Le sommet de la cloche donne l'optimum.

4. Hydraulique des Sols

L'eau joue un rôle capital en géotechnique. Elle modifie les contraintes et peut déstabiliser les ouvrages.

4.1 La Loi de Darcy

L'écoulement de l'eau dans un milieu poreux saturé laminaire est régi par la loi de Darcy, où \(v\) est la vitesse de décharge, \(k\) la perméabilité du sol, et \(i\) le gradient hydraulique.

\[ v = k \cdot i = k \cdot \frac{\Delta h}{L} \]

4.2 Le Principe de Terzaghi (Contrainte Effective)

C'est le concept le plus important de la mécanique des sols. La contrainte totale \(\sigma\) appliquée à un sol saturé se répartit entre le squelette solide \(\sigma'\) et l'eau interstitielle \(u\). Seule la contrainte effective contrôle la résistance et le tassement.

\[ \sigma' = \sigma - u \]

4.3 Réseaux d'Écoulement (Laplace)

Pour les écoulements bidimensionnels (sous un barrage, autour d'une fouille), on utilise l'équation de Laplace (\(\Delta h = 0\)). Graphiquement, cela forme un réseau de mailles carrées composé de :

  • Lignes de courant : Trajectoires des particules d'eau.
  • Lignes équipotentielles : Lignes où la charge hydraulique \(h\) est constante.
Le débit de fuite \(q\) se calcule par : \(q = k \cdot \Delta H \cdot \frac{N_f}{N_d}\) (où \(N_f\) est le nombre de canaux d'écoulement et \(N_d\) le nombre de chutes de potentiel).

5. Distribution des Contraintes (Boussinesq)

Lorsqu'une charge est appliquée en surface, elle se diffuse en profondeur en s'atténuant. C'est le concept du "bulbe des contraintes".

5.1 Charge Ponctuelle

Selon la solution de Boussinesq (milieu élastique, homogène, isotrope, semi-infini), l'augmentation de contrainte verticale \(\Delta\sigma_z\) à une profondeur \(z\) et une distance radiale \(r\) sous une charge \(P\) est :

\[ \Delta\sigma_z = \frac{3P}{2\pi z^2} \cdot \frac{1}{\left[1 + (r/z)^2\right]^{5/2}} \]

Cette diffusion explique pourquoi les couches profondes peuvent tasser même si la charge est appliquée en surface.

6. Tassement et Consolidation

Sous l'effet d'une surcharge, le sol se déforme. Dans les sols saturés fins, ce processus prend du temps car l'eau doit être chassée des pores.

6.1 L'Essai Oedométrique

Cet essai simule le tassement unidimensionnel d'un échantillon de sol saturé drainé. Il permet de déterminer l'indice de compression \(C_c\) (pente de la courbe vierge) et la pression de préconsolidation \(\sigma'_p\) (mémoire géologique de la charge maximale subie par le sol).

Analogie de Terzaghi
PISTON ÉTANCHE
Fuite
P (Charge)
Ressort = Squelette
Eau = Incompressible

Modèle mécanique : La charge est d'abord reprise par l'eau (surpression), puis transférée au ressort (squelette) lors du drainage.

6.2 Calcul du Tassement Final

Pour un sol normalement consolidé, le tassement \(S\) d'une couche d'épaisseur \(H\) se calcule par :

\[ S = \frac{C_c}{1+e_0} \cdot H \cdot \log\left(\frac{\sigma'_0 + \Delta\sigma}{\sigma'_0}\right) \]

6.3 Temps de Consolidation (Facteur \(T_v\))

La durée du tassement dépend de la perméabilité. Pour atteindre un degré de consolidation \(U\) (%), le temps \(t\) nécessaire est donné par :

\[ t = \frac{T_v \cdot H_{dr}^2}{c_v} \]

Où \(T_v\) est le facteur temps (adimensionnel), \(H_{dr}\) le chemin de drainage et \(c_v\) le coefficient de consolidation.

7. Résistance au Cisaillement

La rupture d'un sol se produit généralement par cisaillement. La capacité portante d'une fondation ou la stabilité d'un talus dépend de cette résistance.

7.1 Critère de Rupture de Mohr-Coulomb

La résistance au cisaillement \(\tau_f\) est liée à la contrainte normale effective \(\sigma'\) par :

\[ \tau_f = c' + \sigma' \cdot \tan(\varphi') \]

Où \(c'\) est la cohésion effective (kPa) et \(\varphi'\) l'angle de frottement interne effectif.

7.2 Essais de Laboratoire

On distingue deux essais principaux pour mesurer ces paramètres :

  • La Boîte de Cisaillement (Casagrande) : Essai simple et direct sur plan imposé.
  • L'Essai Triaxial : Plus complexe, permet de contrôler le drainage. Variantes :
    • UU (Non consolidé, Non drainé) : Résistance à court terme (\(C_u\)).
    • CD (Consolidé, Drainé) : Paramètres effectifs à long terme.

8. Calcul des Fondations

L'application directe de la mécanique des sols est le dimensionnement des fondations.

8.1 Capacité Portante (Terzaghi)

Pour une semelle filante, la contrainte de rupture \(q_u\) est donnée par la superposition de trois termes (cohésion, surcharge latérale, poids du sol sous la fondation) :

\[ q_u = c' N_c + \gamma D N_q + 0.5 \gamma B N_\gamma \]

Où \(N_c, N_q, N_\gamma\) sont des facteurs de portance dépendant uniquement de l'angle de frottement \(\varphi'\).

SEMELLE
Q
I
II
II
III
III

Mécanisme de rupture (Prandtl) : I (Coin solidaire), II (Cisaillement radial), III (Zone passive de Rankine).

9. Poussée, Butée et Stabilité des Pentes

Cette section traite de l'équilibre des massifs de sol inclinés ou retenus par des ouvrages.

9.1 États limites de Rankine (Soutènement)

Derrière un mur de soutènement, le sol exerce une pression.
Poussée (Actif) : Le sol pousse le mur. Coefficient \(K_a = \tan^2(45 - \varphi/2)\).
Butée (Passif) : Le mur pousse le sol (résistance). Coefficient \(K_p = \tan^2(45 + \varphi/2)\).

9.2 Stabilité des Pentes

Pour analyser la stabilité d'un talus, on recherche le coefficient de sécurité \(F_s\) le long d'une surface de rupture circulaire potentielle. La méthode la plus courante est la Méthode des Tranches (Fellenius ou Bishop), qui découpe le volume glissant en lamelles verticales pour résoudre l'équilibre des forces et des moments.

\[ F_s = \frac{\text{Forces Résistantes (Cisaillement)}}{\text{Forces Motrices (Poids)}} \]

10. Données de Référence (Ordres de Grandeur)

En géotechnique, il est crucial d'avoir en tête les ordres de grandeur pour valider des résultats.

Type de Sol Cohésion \(c'\) (kPa) Angle frottement \(\varphi'\) (°) Perméabilité \(k\) (m/s)
Argile molle0 - 2015 - 20\(10^{-9}\) à \(10^{-11}\)
Argile raide20 - 10020 - 25\(10^{-9}\) à \(10^{-11}\)
Sable lâche028 - 30\(10^{-3}\) à \(10^{-5}\)
Sable dense035 - 45\(10^{-3}\) à \(10^{-5}\)
Grave035 - 50\(10^{-1}\) à \(10^{-3}\)

11. Essais In Situ

Le Pressiomètre (PMT)

Essai de référence en France. Mesure le Module Ménard \(E_M\) (déformation) et la Pression limite \(P_l\) (rupture) par dilatation d'une sonde radiale.

Le Pénétromètre (CPT)

On fonce une pointe conique à vitesse constante. Mesure la résistance en pointe \(q_c\) et le frottement latéral \(f_s\). Excellent pour la stratigraphie des sols meubles.

Le Scissomètre (Vane)

Moulinet enfoncé dans le sol puis tourné. Mesure la résistance au cisaillement non drainé \(C_u\) des argiles molles in situ.

12. Pathologies et Risques Majeurs

  • Retrait-Gonflement des Argiles (RGA) : Variations de volume des sols argileux selon la teneur en eau (sécheresse/pluie), causant la fissuration des maisons.
  • Liquéfaction : Perte brutale de résistance des sables saturés lâches sous vibrations sismiques, le sol se comportant comme un liquide lourd.
  • Fontis : Effondrement brutal dû à la remontée d'une cavité souterraine (carrière, dissolution de gypse) vers la surface.

13. Glossaire Géotechnique

Anisotropie Propriété d'un sol dont les caractéristiques mécaniques varient selon la direction de sollicitation (verticale vs horizontale).
Cohésion Force d'attraction inter-particulaire donnant au sol une résistance au cisaillement même sans contrainte normale.
Pression Interstitielle (u) Pression de l'eau dans les pores du sol. Si elle augmente, la contrainte effective et la résistance diminuent.
Remaniement Perte de structure du sol lors de son prélèvement, modifiant ses propriétés par rapport à l'état intact.
Thixotropie Capacité de certains sols argileux à récupérer leur résistance au repos après avoir été remaniés.

14. Conclusion

La mécanique des sols est une science empirique et théorique exigeante. La maîtrise des concepts de contrainte effective, de consolidation et de résistance au cisaillement est indispensable pour concevoir des ouvrages sûrs. L'ingénieur géotechnicien doit sans cesse faire le lien entre les modèles de calcul, les résultats des essais et la réalité complexe du terrain.

15. Ressources Complémentaires

L'Essai Pressiométrique Ménard Expliqué

Détails sur la mise en œuvre, l'interprétation des courbes et l'utilisation des résultats pour le calcul des fondations selon l'Eurocode 7.

Fondations Profondes : Pieux et Barrettes

Quand utiliser des pieux ? Différence entre frottement latéral et effet de pointe. Les techniques de forage et de mise en place.

Rabattement de Nappe et Stabilité

Gestion de l'eau sur chantier : pointes filtrantes, pompage, et risques de tassement induits sur les avoisinants.

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